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à justifier sa prévoyance, et il serait revenu plus fort. Il a pris un autre parti. Dès lors, son principal souci aurait dû être d’en assumer sur lui seul toute la responsabilité, au lieu d’en faire retomber sur son fils aîné, sur le diadoque, le poids le plus lourd, le plus écrasant. On ne saurait imaginer une conception plus funeste que d’avoir envoyé le malheureux prince Constantin commander l’armée de Thessalie. lia fait de son mieux, très courageusement à coup sûr ; mais eût-il eu le génie de Bonaparte, — chose extrêmement rare dans l’histoire, — qu’il n’en aurait pas moins été battu avec l’armée qu’il commandait. C’est ce dont les Grecs ne conviendront jamais. Ils veulent absolument avoir été héroïques ; on ne leur fera pas croire qu’ils ne l’aient pas été. Ils ont été trahis, disent —ils ; ils attribuent la défaite aux erreurs, aux défaillances, à l’incapacité du haut commandement. Il fallait s’y attendre. Le même prince qui avait été acclamé avec enthousiasme, lorsqu’il quittait Athènes il y a quelques jours pour aller se mettre à la tête de l’armée de Thessalie, est maintenant l’objet des attaques les plus passionnées et les moins équitables. La princesse Sophie, sa femme, qui a montré un si absolu dévouement à sa nouvelle patrie, participe aujourd’hui à la double impopularité qui s’attache à son mari malheureux sur les champs de bataille et à l’empereur d’Allemagne, son frère, accusé, non sans vraisemblance, d’avoir dirigé de loin contre la Grèce, avec une perspicacité remarquable, mais implacable, les manœuvres politiques et militaires du gouvernement ottoman. La situation qui en résulte est des plus périlleuses. Si le roi Georges avait pris lui-même le commandement de son armée, il aurait pu, après la défaite, faire la paix et abdiquer. Le diadoque n’aurait pas été personnellement et directement atteint par les désastres de la patrie. Mais on s’est comporté de telle sorte que deux générations à la fois sont compromises dans la famille royale, celle d’aujourd’hui et ceUe de demain, le présent et l’avenir. Il faut convenir que c’est là une singulière façon de comprendre l’intérêt dynastique, et de le garantir.

Tout, en Grèce, se trouve donc ébranlé en même temps ; jamais pays n’a traversé une crise plus inquiétante. M. Delyannis peut mesurer maintenant la profondeur du précipice où il a fait rouler son pays. Déjà, en 1886, il l’avait conduit jusqu’au bord de l’abîme, et tout autre que lui aurait tiré une leçon de cette expérience ; mais il s’est montré, au bout de dix ans, aussi imprudent qu’il l’avait été une première fois. Il a joué les Grispi jusqu’au dénouement, qui, pour le dictateur italien, s’est produit en Afrique, et nous en félicitons l’Itahe : la fortune n’a