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bien qu’il fût un homme supérieur, puisqu’il en donnait l’impression à tous ceux qui l’approchaient. Il laissera dans l’histoire de ce siècle le souvenir d’un homme qui aurait pu faire de grandes choses, et qui n’en a fait que de très nobles et de très belles ; et ce n’est pas un des moindres maux de nos révolutions multipliées d’avoir brisé une carrière si bien commencée, et d’avoir laissé, non pas inutiles à coup sûr, mais inemployées, de si heureuses et peut-être de si puissantes facultés.

Mais, nous l’avons dit, la mort du Duc d’Auraale n’est pas le seul deuU qui pèse en ce moment sur nous. L’angoisse qui s’est emparée de Paris et de la France entière lorsque, le 4 mai dernier, l’incendie a fait tant de victimes au Bazar de la Charité, continue d’étreindre nos cœurs. Il faut remonter très loin pour retrouver une catastrophe comparable à celle-là, et aucune autre n’a présenté des caractères plus émouvans. On a prétendu, avec un plus grand souci de la rhétorique que de l’exactitude, que la mort met l’égalité partout. Il n’en est rien : l’inégahté inhérente à la nature se retrouve, hélas ! en elle comme dans la vie ; car il y a des morts qui participent de l’insensibilité générale des choses, et il y en a de violentes et de cruelles. Toutes excitent la pitié, surtout lorsqu’elles se produisent [en masse par le fait d’une catastrophe imprévue, et jamais peut-être ce sentiment de compassion qui est dans nos cœurs n’a été plus fortement excité que par l’incendie du 4 mai. Il importe peu sans doute, humainement parlant, que la fatalité meurtrière s’exerce ici ou là, et les victimes que fait un accident de chemin de fer ou l’incendie d’un théâtre sont aussi intéressantes que les autres. On ne saurait faire de distinctions entre elles. Et pourtant, lorsque la faux qui erre aveuglément dans le monde s’abat sur un seul point et moissonne d’un seul coup le même champ, l’émotion est encore plus intense. C’est ainsi qu’à la guerre, il est arrivé parfois qu’un régiment levé tout entier dans la même province ait été écrasé sur le champ de bataille, laissant tout un pays désolé, rempli de veuves et d’orphelins, ou de pères et de mères sans enfans. Le malheur, au point de vue social, semble s’atténuer lorsqu’il se disperse, et s’aggraver lorsqu’il se resserre et se condense dans des limites plus étroites. A Paris, le 4 mai, c’est une classe de la société qui a été plus particulièrement, et presque exclusivement frappée : des heureux, dit-on ; des heureux, dirions-nous à notre tour, s’il était vrai que le bonheur tint à la fortune, à l’élégance des mœurs, à la déhcatesse du cœur, toutes choses qui rendent souvent plus sensible aux mille prises de la souffrance, et qui en rendent la pénétration plus intime et plus profonde. En tout cas, et même en tenant compte de l’attrait mondain