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Celles qu’il y introduisit, ce n’étaient que dames de grande famille, et « damoiselles de réputation qui paroissoient en sa court comme déesses au ciel. » Mais c’est Catherine qui porte les choses à leur point de perfection. « Le monde depuis qu’il est faict n’avoit jamais rien vu de pareil. » Songez qu’elle n’a pas autour d’elle moins de trois cents dames ou demoiselles. Change-t-elle de résidence, elle les emmène en escadron volant ; maréchaux et fourriers affirment qu’elles tiennent toujours la moitié des logis. Quand la reine s’en va par pays en sa litière, voyez-les, montées sur de belles haquenées, richement accoutrées, leurs chapeaux bien garnis de plumes, « si que ces plumes volantes en l’air représentoient à demander amour ou guerre. Virgile qui s’est voulu mesler d’écrire le hault appareil de la reyne Didon quand elle alloit et estoit à la chasse n’a rien approché au prix de celuy de nostre reyne avec ses dames, et ne luy en desplaise[1]. » Ou encore représentez-vous les cérémonies d’apparat, les entrées des villes, les « sacrées et superlatives » noces des rois et des princes. Ceux qui virent ces choses en eurent l’âme ravie. Pour eux la cour ne fut plus l’endroit où était le roi, mais bien celui où étaient la reine et ses femmes. Leur fallait-il accompagner le roi aux champs, aux villes et y demeurer quelques jours loin des dames, c’était pour eux un exil où ils se sentaient tout « esbahis, perdus et faschez. » On se lasse bien vite de voir des princes, des gentilshommes, des gens de conseil, et de les ouïr parler de la guerre, de la chasse ou des affaires de l’État. « Mais jamais on ne s’ennuye de converser avec les honnestes dames. » Ces conversations qui se tenaient dans l’antichambre de la reine ne pouvaient manquer d’être édifiantes, attendu qu’on se trouvait là dans l’école de toute honnêteté et vertu, et non pas ailleurs. Brantôme affirme qu’on y discourait et devisait « tant modestement que l’on n’eust osé faire autrement. » Nous ne demanderions pas mieux que de l’en croire sur sa foi de gentilhomme. Mais au surplus nous avons le témoignage de ses écrits. Car, s’il écrit, c’est afin de revivre, par la pensée les heures de jadis, et il s’efforce de retrouver les sujets comme le ton des entretiens dont il est maintenant privé. C’est aux dames qu’il dédie ses livres et il espère qu’elles y trouveront comme lui-même le charme mélancolique du souvenir : « Puisque le plaisir amoureux ne peut pas tousjours durer, pour beaucoup d’incommoditez, empeschemens et Changemens, pour le moins le souvenir du vieil passé contente encore[2]. » En terminant, c’est encore à ses lectrices qu’il songe, et il

  1. Brantôme, VII, 399.
  2. Brantôme, VII, 397.