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la lueur d’une fumeuse lanterne suspendue à quelque poutre du plafond et filaient le rouet, encore en usage jusqu’au milieu de la Restauration, ou la quenouille, dont la disparition plus tardive coïncida avec l’abandon de la culture du chanvre[1].

Si nous passons au chapitre de la nourriture, nous voilà forcé, pour être impartial, de mentionner une circonstance très authentique, d’après laquelle une famille de cultivateurs du pays, aujourd’hui fort aisée, aurait été réduite, dans le cours d’une période de disette postérieure à la Révolution, à consommer quelquefois des soupes de glands. Ajoutons que, très heureusement, ce fait ne constituait qu’une exception isolée ; le pays, même dans la première moitié de ce siècle, était plutôt gêné que misérable. Toujours un boucher a débité dans le hameau de la viande de mouton; quant à celle de bœuf, son emploi passait naguère pour un véritable luxe, et nous avons connu de braves gens pouvant citer les rares occasions où il leur avait été donné d’en consommer à la suite d’une excursion à Aix. Actuellement encore, le campagnard provençal aisé qui, au retour d’une foire, s’arrête pour dîner à l’auberge, commande de préférence une portion de « bœuf à la daube », plat très apprécié dans le peuple, et dont l’usage fréquent caractérise proverbialement l’aisance aux yeux des paysans. Quoi qu’Il en soit, d’après nos propres souvenirs, il y a vingt-cinq ans, les fermiers et leurs valets ne consommaient guère de viande de boucherie que le dimanche. Le fond de la nourriture était une soupe assez appétissante, avec force pain, légumes et pommes de terre. L’oignon cru, le pain frotté d’ail concouraient aussi pour une forte part à l’alimentation du paysan. Joignez à cela diverses variétés de fromage, dont l’un, très fort, appelé cachai, et une certaine quantité de charcuterie provenant du cochon nourri dans la ferme. Dans la saison froide, boudins et saucisses faisaient partie de tout régal bien ordonné.


IV

Nous croyons avoir suffisamment dépeint l’aspect du pays et ses cultures et fourni assez de détails sur certains côtés de l’existence matérielle de nos paysans pour aborder, plus franchement que nous ne l’avons fait jusqu’à présent, l’examen de la question

  1. Culture rendue improductive par l’arrivée des toiles de fabrique offertes aux paysans par les colporteurs.