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l’expatriation, qu’ils évitent presque toujours d’ailleurs avec le recrutement régional, n’a plus rien qui les effraye. Si le conscrit est incorporé dans un régiment appartenant au 15e corps, il se voit entouré de compatriotes, souvent d’amis et de connaissances, non seulement à la chambrée, mais dans la ville de garnison. Presque tous ses chefs, quand ils ne sont pas originaires du pays, sont habitués de longue date à gouverner des Méridionaux dont ils connaissent le caractère. La rudesse inflexible du commandement d’autrefois n’existe plus qu’à l’état de souvenirs, qu’il faut exhumer du passé pour égayer les lecteurs des journaux ou les spectateurs des théâtres. Il n’est pas jusqu’à l’ordre dispersé qui, réclamant de l’homme une certaine dose d’intelligence et d’initiative, ne favorise les aptitudes innées du Provençal.

Donc, nos paysans partent volontiers pour accomplir ce devoir, si pénible pour eux jadis. D’ailleurs trois années de service sont bien vite passées. Pas de mauvaises têtes parmi eux. Plusieurs font bien vite d’excellens sous-officiers, dont quelques-uns rengagent avec l’espoir d’exercer plus tard à Marseille le métier de comptable, après leur libération. Nous avons eu plus d’une fois l’occasion de constater par nous-même l’entrain et la bonne humeur avec lesquels ces mêmes hommes, mûris et fortifiés, accomplissent leurs période d’instruction et les manœuvres qui accompagnent d’ordinaire les convocations de réservistes.

Toute médaille a son revers. Il est certain que les lois militaires actuelles, telles qu’elle sont appliquées, contribuent, pour une part sensible, au dépeuplement des campagnes du sud-est. Presque toujours, le paysan jeune soldat est envoyé dans les villes voisines de son terroir, où il se trouve bien vite en pays de connaissance et dont il adopte sans peine les habitudes. S’il résiste à cette épreuve, les périodes de vingt-huit et de treize jours viennent la renouveler. Naturellement la déperdition d’hommes à laquelle nous faisons allusion s’effectue d’ordinaire aux dépens des sujets les plus intelligens, tout en épargnant les individus les moins bien doués. Nous noterons comme trait de mœurs bien caractéristique du cultivateur provençal la promptitude avec laquelle, devenu citadin, il oublie l’agriculture, qu’il arrive bientôt à mépriser, de sorte qu’il est presque sans exemple qu’après avoir habité la ville, il retourne aux champs. Cette tendance s’accentue plus vite et plus nettement dans le cas où l’ex-agriculteur se fixe