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à ceux qui, comme Aligny, Corot, Dupré, Rousseau, en feront leur fief. Les portraitistes ne font plus que du portrait. Les genres se séparent. En vertu de la grande loi économique de la division du travail, chaque artiste rentre dans sa spécialité. Chardin a commencé à fermer ses fonds par une cloison d’un gris très fin. David l’a imité. Goya l’assombrit. Voyez, chez David, les murs gris et nus derrière Mme de Richemont et derrière Mlle Charlotte du Val d’Ogues, cet horizon d’immeubles ternes, gris, monotones à pleurer. Lawrence nous ouvre encore quelque sombre échappée de paysage au fond de ses portraits de grandes dames, mais c’est la fin. L’ombre s’épaissit peu à peu derrière les têtes, et les têtes, rassemblant dès lors sur elles toutes les caresses de la lumière et tous les baisers de la couleur, ressortent avec un éclat nouveau. Dans cette salle consacrée aux portraits du XIXe siècle, à peine voit-on trois ou quatre fonds de verdures effacées. Seul, le portrait de Mme Toulmouche, de Delaunay, rappelle l’arrière-plan de nature de Ghirlandajo et seules, les rayures soyeuses de Chaplin, dans le portrait de la comtesse Aimery de la Rochefoucauld, remémorent les nuages gris et roses de Nattier. Tout le reste, clair ou sombre, est mat, uni, conventionnel. Ce sont des fonds plus ou moins dégradés de photographes. Ainsi les toiles de Chatillon, de Ricard, de Winterhalter, de Baudry, de Bastien-Lepage, de Cabanel... La nuit qui régnait derrière les têtes des Clouet, des Ambrogio de Prédis, des Rembrandt, des Van Keulen, après s’être dissipée et avoir laissé apercevoir des draperies chez Van Dyck, des salons chez Largillière et Mignard, des feuillages chez Van Loo, des parcs chez les Anglais, un pan de ciel bleu chez La Tour, est tombée de nouveau autour de nos contemporaines. Le cycle s’est refermé et, en regardant de près, vous apercevrez que les fonds sont sensiblement les mêmes, sombres et unis, aux deux extrémités les plus opposées de cette salle et que la peinture de portraits s’achève comme elle a commencé, — dans la nuit.


IV

Ce n’est point un défaut et toute licence, sur ce point, devrait être permise aux artistes. Pourvu qu’ils fassent un beau portrait, c’est-à-dire une figure vivante comme cette inoubliable Tête de femme, au pastel, de La Tour, qu’importe le reste? Qu’importent les accessoires, qu’importe l’exactitude de la toilette,