Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
353
FRANÇOIS VIÈTE.

Un second procès, plus émouvant encore pour Viète, vint à son tour l’occuper tout entier. Sa jeune et chère élève, trois mois après son mariage, quitta le château du Parc en fugitive, et vint tout en pleurs à la Rochelle se jeter dans les bras de sa mère et dans ceux de Viète, leur racontant, en latin sans doute, de tels détails, que la dame de Soubise, n’ayant plus d’archevêque dans sa famille, consulta Théodore de Bèze. Le rigide réformateur se déclara scandalisé en son âme. Le sacrement du mariage est une chose sainte. La virginité l’est plus encore ; leur réunion déplaît à Dieu quand elle attise le fou que le grand apôtre permet d’éteindre, et dont les flammes menaçaient Catherine. Théodore de Bèze concluait à la nullité du mariage, conseillait de le rompre, et d’en contracter un autre. Catherine, obéissante et soumise, acceptait d’un cœur docile une décision conforme à ses désirs. Quellenec y résistait sous les dehors d’une pieuse soumission à la loi de Dieu. Les pasteurs allaient fort au delà de leur ministère, et se mêlaient de ce qui ne les regardait pas. N’ayant manqué à aucun des commandemens de Dieu, il n’y allait ni de sa conscience, ni de son salut. Il y allait du bonheur de Catherine. Viète, « malgré les usances malséantes d’une procédure si longue et si ennuyeuse que rien plus », voulut être son avocat et son conseil. Quellenec, fort de son droit, exigea le retour de Catherine au Parc, menaçant de la séquestrer au château de Quellenec près de Vannes. Elle était sans défense. La loi de l’homme, plus rude qu’aujourd’hui, asservissait complètement l’épouse. Le mari mécontent, — la loi n’en exigeait pas plus, — avait droit de la mettre en geôle, de la lier (eam tenere in vinculis), de la battre (eam verberare), de la châtier [castigare], de la priver de nourriture (jejunare facere), avec modération toutefois (immoderate eam verberare non licet). La gentilhommerie soldatesque de Quellenec protégeait seule Catherine. Les déclarations écrites, contraires aux confidences faites à sa mère, étaient vilainement arrachées par force. La pauvre petite rougissait à des questions indiscrètes et trop précises ; sans vouloir mentir, elle se contredisait en adoucissant les réponses. Son affaire allait mal devant le juge. Viète était inquiet. La journée de la Saint-Barthélémy arrangea tout. Quellenec succomba après une héroïque résistance ; il est peut-être, après Coligny, celle des victimes dont on a le plus parlé. Son cadavre sanglant fut traîné nu sous les fenêtres du Louvre. Les dames de la cour, de très grandes dames, comme dit Buridan, descendirent pour le contem-