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même de reconnaissance à lui témoigner. Mais l’aspect change entièrement si le traitement est une largesse de l’Etat qu’il peut révoquer ou réduire à son gré. « Quiconque est payé, disait l’Avenir, dépend de celui qui le paie. » C’est faux, si c’est une créance qu’il a à recouvrer, et s’il a affaire à un honnête homme ! Mais changez et ajoutez quelques mots, et dites : « Quiconque est payé dépend de celui qui peut à tout moment le menacer de cesser de l’être » ; sera-t-il si aisé de contredire ?

Il faut donc bien convenir, hélas! qu’après plus de soixante ans d’efforts généreux de toute nature, en face d’un clergé, non point pareil à celui à qui Lamennais s’adressait, — qui était nourri dans les traditions de l’ancien régime et où figuraient au premier rang des revenans de l’émigration, — mais d’un clergé sorti tout entier des rangs populaires, élevé dans l’atmosphère que chacun de nous respire, non seulement n’ayant aucune prétention à reprendre la place que l’Eglise occupait autrefois, mais n’en ayant pas même gardé un souvenir assez net pour lui en inspirer le regret: quand, pendant cette longue période de temps déjà écoulée, aucun Français n’a eu à se plaindre d’un acte d’oppression et d’intolérance, quand tous les rangs sont ouverts aussi bien à ceux qui professent d’autres cultes que le catholique qu’à ceux qui font état et même gloire de n’en pratiquer aucun, l’Église est l’objet, de la part des pouvoirs qui représentent la France nouvelle, d’une hostilité que rien ne justifie plus. Elle se retrouve dans un état plus précaire, plus asservi qu’au début de cette longue période. Je n’ai pas dit un état plus humiliant, car il n’y a pas d’humiliation à être victime de la force, pourvu qu’on le sache, qu’on le sente et que l’habitude n’engendre pas la résignation.

Et ce qu’il y a de fâcheux, c’est que l’Eglise a aujourd’hui, bien plus qu’à l’époque que je rappelle, besoin de la pleine liberté de ses ministres, pour qu’ils puissent remplir la tâche, plus grande aussi que jamais, qui leur est dévolue. Le temps a marché, et devant la démocratie grandissante tous les rangs sociaux, alors encore assez resserrés, se sont ouverts et élargis. L’instruction généralement répartie a éveillé chez les masses populaires une curiosité intellectuelle qui, en matière religieuse comme en toute autre, veut être satisfaite. Le pieux commentaire du catéchisme est loin de suffire, et un plus haut degré de connaissances doit être appelé en aide à la foi. Pour faire face à ce devoir nouveau