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En matière d’association, c’est pis encore. Une société faite dans une vue de prière ou de charité n’est pas seulement soumise à l’interdiction générale portée par ce fameux article 13 du Code pénal, dont l’abrogation toujours promise figure à l’horizon parlementaire, comme un mirage qui recule toutes les fois qu’on croit s’en approcher, et dont des syndicats ouvriers ont été seuls déclarés exempts. Mais, si peu qu’on joigne à un lien social le fait de la vie ou du travail en commun, voici venir en armes tout l’appareil des vieilles ordonnances royales relatives aux congrégations religieuses, dont on avait quelquefois parlé ou menacé depuis cinquante ans, mais sans jamais arriver à l’exécution. Cette fois elle a été faite, j’ai rappelé tout à l’heure avec quel éclat. L’épreuve n’ayant pas été satisfaisante et n’ayant pas rapporté autant de profit qu’elle avait fait de bruit, quelques communautés, nous dit-on, sont rentrées en silence, à la condition de ne pas faire parler d’elles. Mais l’épée qu’on a tirée du fourreau reste suspendue sur leur tête, et on a soin de la manier et de l’aiguiser de temps à autre, pour ne pas la laisser rouiller.

En attendant, celles qu’on ne veut pas tout de suite frapper à mort, on tâche de les laisser vivre le moins à l’aise et par suite le moins longtemps possible. De là ces impôts si ingénieusement perçus sur le revenu d’un fonds qui n’en produit pas, ce droit d’accroissement prélevé sur un capital qui n’est pas accru, toutes ces belles inventions de nos financiers du jour qui dépassent, en fait de génie fiscal, celles dont Voltaire s’amusait si plaisamment dans le pamphlet de l’Homme aux quarante écus. Il a toujours été, on le sait, moins difficile en France d’employer son bien au plaisir qu’à un but moral ou religieux et de le léguer à sa maîtresse qu’à sa paroisse, mais la difficulté est devenue l’impossibilité absolue, tant on a pris soin de boucher toutes les ouvertures par lesquelles pourrait passer une libéralité pieuse, tant on est pressé à évoquer le fantôme de la mainmorte, cette expression gothique qui a je ne sais quel air sinistre et que des niais ou des badauds répètent à l’oreille, avec effroi, sans la comprendre.

Voilà comment ce terrain du droit commun et de la liberté où des hommes généreux ont voulu se placer, il y a un demi-siècle, au lieu de s’étendre comme il aurait été naturel de le penser, sous un régime qui s’affiche pour libéral, se restreint de jour en jour pour les catholiques, jusqu’à manquer sous leurs pas. Le seul