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joug au plus tôt, afin d’effacer de ses nobles épaules l’empreinte du collier d’attache qui avait trop longtemps attesté sa domesticité.

Mais, même affranchis de ces entraves et de ces rigueurs d’une nature spéciale et rentrés dans la masse commune des citoyens, les catholiques n’auraient pas encore retrouvé toute l’aisance nécessaire pour se conformer à toutes les exigences de leur foi et suivre toutes les inspirations de leur conscience. Deux droits leur manquaient encore, aussi essentiels l’un que l’autre à l’existence de l’Eglise : la liberté de l’enseignement et celle de l’association. Aucune des deux n’existait à cette date de 1830, pour aucun Français, à un degré quelconque. L’éducation et l’instruction de la jeunesse étaient, on le sait, enlevées aux familles pour être concentrées entre les mains de l’Etat qui en confiait le monopole à son Université, et dont les leçons, si elles n’étaient pas hostiles, devaient être du moins, dans un pays divisé entre plusieurs cultes, nécessairement indifférentes à la vérité religieuse. C’était une conquête à faire, si l’on voulait que le commandement laissé par le divin maître à ses premiers disciples : Ite et docete, pût recevoir son accomplissement.

De plus, alors, comme encore aujourd’hui, aucune association de plus de vingt personnes ne pouvait ni se former, ni se réunir, encore moins vivre en commun, agir, parler, acquérir et posséder, ni fonder ainsi une institution durable sans la permission du gouvernement. Ainsi l’Eglise, après s’être privée des avantages que le Concordat lui faisait payer trop cher, mais lui accordait pourtant en certaine mesure, serait retombée pour son culte, ses œuvres de charité et de propagande sous le bon plaisir administratif. Il y avait donc là pour elle toute une série de franchises civiques à conquérir, si on ne voulait pas que le conseil qui lui était donné de rompre tout rapport avec l’État n’eût pas pour premier effet, au lieu de l’émanciper, de l’asservir plus complètement.

On voit que la tâche que Lamennais proposait à l’Eglise d’entreprendre, se présentait sous deux formes différentes. C’était à la fois une conciliation à opérer et une lutte à soutenir : conciliation avec la société moderne, qu’il avait si violemment attaquée et qu’il suivait, au besoin même, qu’il devançait maintenant sur le terrain libéral où le mouvement du siècle l’avait portée : lutte légale à engager avec les pouvoirs publics pour se délivrer elle-même