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Elle a beaucoup péché, cette Samaritaine,
Mais l’urne dont a fui le divin contenu
Se reconnaît divine à l’anse du bras nu.


Cependant Photine (c’est son nom) descend le sentier en chantant de petites chansons d’amour, charmantes et fort chaudes, traduites ou « adaptées » du Cantique des Cantiques. Jésus, qu’elle n’aperçoit pas d’abord, l’écoute et fait cette réflexion indulgente :

C’est une âme légère ainsi qu’une corbeille.


Puis il lui demande à boire. Elle le raille méchamment: « Un juif boire de l’eau d’un puits samaritain ? Non, non, tu n’en auras pas ! » Et je veux citer les vers qu’elle lui dit en cet endroit : car ces vers sur une cruche d’eau fraîche, ces vers d’un « rendu » surprenant, sont, à mon sens, les meilleurs de cet « évangile » :


Tu vois cette eau, cette eau limpide, si limpide
Que lorsqu’il en est plein le vase semble vide,
Si fraîche que l’on voit en larmes de lueur.
En perles de clarté ruisseler la sueur,
La sueur de fraîcheur que l’amphore pansue,
Par tous les pores fins de son argile, sue!...
Cette eau qui donne soif rien qu’avec son bruit clair,
Si légère qu’elle est comme une liqueur d’air,
Eh bien! pour toi, cette eau, c’est la loi, la loi dure.
Cette eau pure, cette eau si pure, elle est impure!...


Le reste de la scène suit d’assez près le quatrième chapitre de l’Évangile de saint Jean ; mais, tandis que les paroles de la Samaritaine y sont très agréablement amplifiées, celles de Jésus y sont assez médiocrement traduites.

Donc elle reconnaît le Messie, et l’adore. Elle l’adore comme elle peut. La chère créature a l’inadvertance de redire à Jésus les jolies strophes érotiques qu’elle chantait tout à l’heure en pensant à son amant; sans doute pour fournir à Jésus l’occasion de se révéler psychologue compréhensif et féministe averti.


Je suis toujours un peu dans tous les mots d’amour,


dit-il délicieusement. Et il ne lui échappe pas que, au fond, la Samaritaine aux camélias s’essayait, avec ses six amans, à l’amour divin. — N’aie pas honte, reprend-il :


Comme l’amour de moi vient habiter toujours
Les cœurs qu’ont préparés de terrestres amours.
Il prend ce qu’il y trouve, il se ressert des choses ;
Il fait d’autres bouquets avec les mêmes roses...