Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui, après sa mort, sera adoré à l’égal du ciel même; « mère de l’empire », suivant la locution chinoise, elle est traitée comme une divinité sur la terre ; son fils, dépouillant son pouvoir, se prosterne devant elle et reçoit ses ordres ; chaque fois que l’on écrit son nom, c’est avec les mêmes marques de respect que l’on emploie pour le nom du ciel. Des palais somptueux, une cour agenouillée où figure le maître des hommes, un service magnifique, une pension fastueuse, voilà ce qui lui est dû : quelques Impératrices douairières ont su avoir davantage, je veux dire, le pouvoir réel, la direction occulte ou avouée de l’Etat. La femme remarquable qui occupe aujourd’hui le trône de Chine, aussi distinguée par ses connaissances littéraires en mantchou et en chinois que par la maîtrise de son pinceau, régente deux fois « derrière le rideau » qui cachait son visage aux conseillers par obéissance au principe de la séparation des sexes, a effectivement dirigé l’Etat pendant plus d’un quart de siècle ; et, quoi que l’on puisse dire de faveurs mal placées ou vendues, de désordres plus graves même, imputations qui ne sont pas toutes prouvées; bien que l’on puisse objecter qu’elle a plus laissé agir qu’agi elle-même, c’est pendant sa régence ou sous son influence prééminente que l’empire, presque renversé par les rébellions et la guerre étrangère, a été pacifié, a reconquis le Turkestan, s’est étendu à l’est et à l’ouest par l’école et par l’agriculture, s’est ouvert, avec une extrême prudence, à quelques inventions européennes, a été consolidé, au point de faire illusion à plus d’un politique sur les causes profondes de sa faiblesse. Cette période ne peut certes être rangée parmi les âges florissans de la Chine, il s’en faut de beaucoup, mais jamais le gouvernement chinois n’a eu devant lui de pareilles difficultés et, à coup sûr, l’époque de l’impératrice Tsheu-hi sera comptée pour aussi remarquable que n’importe laquelle dans les siècles passés. Je ne veux pas rappeler les exemples brillans de gouvernement féminin que nous a laissés l’antiquité : ils m’entraîneraient trop loin et ne feraient que confirmer encore que le comble d’honneurs et de pouvoir accessible à une créature, c’est une femme seule qui peut y atteindre.

Et maintenant, après avoir suivi la femme de la naissance à la mort et l’avoir vue dans la richesse et dans la pauvreté, dans l’esclavage comme dans le veuvage, il me reste à réunir ici les