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idées très arrêtées et sont persuadées à l’avance que les dernières venues n’ont pas été élevées dans les bons principes : que l’on se figure, si l’on peut, les abus de pouvoir des plus vieilles, les jalousies des jeunes au sujet de la parure et de la beauté, les susceptibilités pour la préférence montrée par les parens à l’un des fils ou à l’une des brus ; qu’on ajoute les excitations des servantes, les bavardages de toutes; qu’on imagine les alliances qui se nouent, les intrigues qui se trament : parfois cela va si loin qu’une jeune femme, en quittant sa famille, ne peut supporter cet enfer et, ne trouvant en elle-même aucune idée morale ou religieuse qui lui serve d’appui, cherche à se donner la mort : les pilules d’or ne sont pas à la portée de tout le monde, mais l’arsenic, l’opium, une corde, le puits de la maison sont d’accès plus facile.

Ces suites du mariage ne sont pas très fréquentes ; elles ne sont pas très rares non plus, et font comprendre l’existence de sociétés telles que les Iris d’or, dont je parlais plus haut; jamais une jeune fille ne peut être sûre d’échapper à une épreuve de ce genre, sauf le cas où, fille unique, sans agnats qui puissent être adoptés par ses parens, ceux-ci la marient à un fils-gendre : c’est-à-dire que le gendre abandonne solennellement son nom de famille et son culte familial, prend le nom de sa femme et vient habiter chez ses beaux-parens, dont il doit hériter; s’il divorce, les biens restent à la femme; c’est, je crois, l’unique hypothèse où la fille soit appelée à l’héritage paternel.

De la part du mari, la femme peut souvent compter sur un traitement convenable ; les joueurs, les débauchés, les hommes qui battent leur femme, ne sont pas plus nombreux en Chine qu’en Europe; et l’Extrême-Orient connaît aussi les femmes de tête qui ont le premier rôle dans leur ménage : on prétendait, il y a quelques années, qu’un très grand fonctionnaire chinois parlait beaucoup moins haut dans sa maison qu’au dehors. Les principes établissent, d’ailleurs, une certaine égalité entre les deux époux : « Sois plein de respect pour ta femme, dit le père à son fils, en renvoyant chercher sa fiancée, car elle doit avec toi avoir soin de mes ancêtres », et Confucius exprimait déjà la même idée dans l’un de ses entretiens. Le mariage rituel n’admet qu’une épouse ; si le mari est mandarin, elle a des titres équivalens, sa chaise est de même couleur, son catafalque a les mêmes ornemens et le même nombre de porteurs; toutefois, la veuve doit