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ne comprennent jamais les phrases qu’on a fait entrer dans leur esprit; dans les grandes familles mantchoues, on joint à ces études celle de la langue nationale, qu’on apprend vers huit ans comme une langue étrangère. Il n’y a pas d’enseignement religieux : car les sacrifices domestiques et les rares visites au temple sont affaire de pure forme, ce sont des coutumes traditionnelles qui ne supposent aucune foi ni aucune idée morale. En résumé, l’instruction est le privilège des filles riches, et seulement si elles en ont le goût ; il y faut ajouter quelques femmes galantes, qui cherchent à plaire par leur adresse à danser et à jouer des instrumens, par leur grâce à dessiner et à faire des vers : encore ce type de femmes est-il rare dans la Chine du nord; quant à la jeune fille qui cultive la poésie et joue du luth, celle que quelques romans chinois ont fait connaître en Europe, je doute qu’elle existe. Ce manque d’instruction, qui est habituel, met la femme dans une situation d’infériorité sensible, surtout dans une société où l’organisation de l’Etat a pour principe et pour but l’instruction; mais le Chinois tient la femme, comme être pensant et personnel, en trop mince estime, pour que l’ignorance féminine le choque : il demande à ses compagnes le plaisir et une postérité, et rien de plus.


II

Puisque notre jeune fille a atteint douze ou quinze ans, puisque son esprit est orné des connaissances nécessaires pour plaire à un mari et que son pied est réduit aux proportions capables de flatter la sensualité d’un Chinois, il peut être question de son mariage, acte encore plus inquiétant pour une jeune Chinoise que pour une Européenne : c’est la grande affaire de la vie, dit le proverbe. Il est toujours précédé des fiançailles, qui sont conclues soit par des lettres écrites sur papier rouge (couleur de joie, comme je l’ai dit) dont les deux familles font l’échange, soit par de simples paroles données; dans un cas comme dans l’autre, la famille du garçon envoie des présens à la jeune fille; la seule remise de ces arrhes, ou le seul échange des lettres suffit à former le contrat et, dès lors, la loi lui donne une sanction, la bastonnade pour le contrevenant; s’il y a eu seulement paroles données, le magistrat ne saurait intervenir, mais les mœurs condamnent toute rupture de fiançailles et la superstition populaire