Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voudrais que l’on n’oubliât pas qu’une société n’est pas construite à la façon d’un théorème de géométrie. Malgré quelques exceptions, toute la civilisation chinoise est pénétrée d’un petit nombre d’idées directrices, dont nulle part on ne sent mieux l’influence qu’à propos de la condition féminine, soit dans la famille, soit en face de la société extérieure à la famille : ce sont ces idées que je voudrais dégager des applications diverses qui en sont faites par les diverses classes de la société, riches, pauvres et esclaves, et dans les divers états de la femme, jeunes filles, femmes mariées et veuves, sans négliger, à côté des règles, les dérogations, dont les plus graves se ramènent à l’esprit des règles mêmes.


I

En Chine comme ailleurs, la fortune libère du souci journalier de l’existence et permet à ceux qui la possèdent, de se conformer à leur idée du « convenable » ; il est donc probable que leur vie représente l’idéal de la race; de plus, spécialement en Chine, la fortune trace une ligne de démarcation très nette dans la population, puisqu’il n’existe pas, à vrai dire, d’aristocratie héréditaire, puisque aucune distinction sociale ne sépare une famille qui a produit des hommes d’État, d’une autre qui ne se compose que de commerçans ou de cultivateurs aisés ; entre les uns et les autres, la manière de vivre peut varier en luxe, mais non pas en nature, et le seul fait d’avoir de l’argent à dépenser pose une famille à l’échelon supérieur.

Entrons donc d’abord chez une famille riche. Que l’on vive à la ville ou à la campagne, ce qui est aussi fréquent, la maison a des jardins, des cours; les pavillons d’habitation sont indépendans, mais groupés autour des cours et réunis par des passages dallés ; tout cela occupe un assez grand espace animé par le va-et-vient des domestiques; les servantes surtout sont nombreuses, mais il n’en faut pas moins pour toutes les maîtresses qu’il y a à servir. Voici un pavillon isolé : il reçoit la lumière par de larges baies allant d’une colonne à l’autre ; tout le fond de l’une des chambres est tenu par le khang, massif de maçonnerie haut d’un pied et demi, sous lequel on fait du feu et qui sert de lit. Dans cette chambre, plusieurs femmes sont affairées; la belle-mère et ses brus, la mère de la patiente, la sage-femme, des