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se faire que vous trouviez l’Espagne disposée à envisager l’avenir d’un œil prudent, pour prévenir de la sorte un événement inévitable. Elle ne peut pas ne pas voir que, dans une période pas très lointaine, Cuba se délivrera ou sera délivrée de sa présente sujétion coloniale. Ces liens se trancheront de quelque façon que ce soit. En vue de la forte probabilité, pour ne pas dire certitude, d’un pareil événement, l’Espagne pourrait, d’une manière conciliable avec son honneur national et avantageuse pour ses intérêts, anticiper et donner naissance à une nation indépendante, de sa propre race, et avec laquelle elle aurait des relations commerciales aussi profitables que celles auxquelles elle l’oblige par une annexion que soutient et prolonge la force... Les Etats-Unis seraient cordialement en faveur de cette séparation volontaire, et, s’il le fallait, y contribueraient de grand cœur par quelque chose de plus substantiel que leur bonne volonté. »

Comme suite à ces instructions, arrivaient, le 25 avril 1824, les pleins pouvoirs du Président, autorisant M. Soulé « à négocier avec le gouvernement de Sa Majesté Catholique la cession aux Etats-Unis de l’île de Cuba. » Mais le ministre américain était, en ce moment, de fort méchante humeur : il avait été froidement reçu à la cour et dans la société de Madrid, ainsi qu’on peut bien le supposer. Les premiers mois de son séjour n’avaient pas arrangé les choses, soit par sa faute, soit par celle des circonstances, qui tendaient de plus en plus les rapports entre les deux pays. Il dut convenir qu’il n’avait aucun moyen d’entamer la négociation si ardue qu’on lui recommandait, qu’au moindre mot sur ce chapitre, toutes les portes et toutes les oreilles se fermeraient, et que rien de sérieux ne pouvait être fait. Au reste, s’agissait-il de négocier un achat? Etait-ce l’argent à la main qu’il fallait parler? « L’indifférence suprême et le sans-gêne avec lesquels l’Espagne considère les dommages que nous souffrons paraissent indiquer son dessein de s’assurer jusqu’où elle peut nous défier et nous insulter impunément. Il est certainement nécessaire de l’obliger à apprendre que notre patience a des bornes. Qu’elle reçoive cette fois une bonne leçon, et soyez persuadé qu’elle s’éveillera de ses songes et prêtera une attention plus docile à la voix de la raison[1]. »

M. Soulé penchait, on le voit, pour la manière forte ; mais le

  1. Dépêche de M. Soulé à M. Marcy, du 3 mai 1854; Sedano, p. 131.