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céder ses droits sur Cuba aux Etats-Unis, comme ce serait autant de moins qu’elle aurait à porter au budget de ses dépenses civiles, militaires et navales, tout examiné et délibéré, « il semble que la somme de 50 millions de duros serait une ample indemnité pécuniaire à l’Espagne pour la perte de sa colonie. »

Voilà faites des offres réelles. Au besoin le Président autoriserait à aller jusqu’à 100 millions de pesos; mais lui et son secrétaire d’Etat attendent de leur ministre à Madrid «les plus grands efforts pour acheter au meilleur marché possible. » M. Buchanan estime que le moment n’est pas mauvais, et il charge M. Saunders de cette mission ou commission délicate. Il lui prodigue les conseils. Le ministre procédera avec une extrême prudence. Dans une première entrevue, il se bornera à tâter le terrain. Qu’il n’écrive pas; il est toujours grave d’écrire, ici particulièrement : les gouvernemens espagnols se succèdent trop vite, les indiscrétions sont faciles. Ces ouvertures doivent être confidentielles : voyez, s’il en transpirait quelque chose, l’effet d’une interpellation aux Cortès ! M. Saunders ira, par conséquent, trouver le ministre d’État espagnol, et lui démontrera d’abord que Cuba est profondément troublée, que la révolution y couve, que les Anglais y intriguent, et que, de toutes façons, l’Espagne va perdre sa colonie. M. Buchanan se doute bien de l’objection qu’on lui fera. Mais quoi ! Napoléon, au faîte de sa puissance et de sa gloire, Napoléon lui-même n’a-t-il pas cédé la Louisiane? L’Espagne peut donc, sans se diminuer, céder à l’Union l’île de Cuba. Tout justement, dans le cas où l’on traiterait, ce seraient les conventions du 30 avril 1803, pour la vente et l’achat de la Louisiane, qui serviraient de modèle, amendées légèrement en deux ou trois clauses.

Pénétré de ces instructions, et muni des pleins pouvoirs de son gouvernement, M. Saunders entreprit la démarche, au mois de juillet 1848. La cour d’Espagne était à la Granja, et le portefeuille des affaires étrangères venait de passer du duc de Sotomayor à M. Pidal, dans le ministère présidé par le général Narvaez. C’est par le général que M. Saunders résolut de commencer l’attaque, espérant arriver par lui à la reine mère, Marie-Christine, dont l’influence sur les affaires cubaines était très grande, à cause des intérêts considérables qu’elle avait dans l’île. Narvaez était fin et se tenait sur ses gardes. Il fut d’une politesse exquise, n’écouta pas M. Saunders, et le renvoya à M. Pidal, qui avait toute sa