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souffrir qu’un passant la cueille, il en est de plus pressés qui ne craignent pas de secouer le pommier. Il ne manque point, aux États-Unis, de gens pressés; et, comme il y en a beaucoup dans le peuple, il s’en trouve quelques-uns jusque dans les Chambres. Le pouvoir exécutif, la diplomatie les contiennent et retiennent autant qu’ils peuvent ; non pas que le fruit leur semble méprisable, mais parce qu’ils savent mieux les inconvéniens d’un mouvement trop brusque, en matière de relations internationales. Et de là deux directions, deux partis, presque deux politiques vis-à-vis de l’Espagne au sujet de Cuba : une politique populaire, et une politique officielle; une politique selon les règles, dans les formes, et une politique en dehors des règles et des formes, une politique à côté ; la politique de M. Cleveland et de M. Olney, correcte, réservée, légale, responsable, et une politique compromettante, envahissante, illégale, irresponsable, à la Cecil Rhodes ou à la Jameson.

Elles, non plus, ces deux politiques ne datent pas d’hier. On les distingue dès le premier moment où les États-Unis se sont aperçus que Cuba n’était qu’à une demi-journée de la Floride. Dès 1810 ou 1812, dès le commencement de ce siècle, avant que M. Adams ait fait à la plus vaste et à la plus riche des Antilles une savante application des lois de la gravitation physique, bien des bras se lèvent et s’étendent pour secouer l’arbre, bien des bouches soufflent pour enfler la tempête. Quand la franc-maçonnerie est importée à Cuba, d’où vient-elle? Des États-Unis, de Philadelphie. Quel objet se propose, en s’en taisant à peine, la loge si fréquentée et si agissante des Racionales Caballeros? L’indépendance des Amériques ; entendez leur indépendance vis-à-vis de toute nation européenne. Des diplomates même s’y prêtent complaisamment[1]. Car, si la diplomatie de l’Union, prise dans son ensemble et comme institution, suit une ligne sage et prudente, cela n’empêche pas que de temps en temps elle n’ait, à cause des conditions particulières de son recrutement, des agens extraordinaires.

Mais la maçonnerie ne fait que préparer les voies, et bientôt on en vient aux insurrections, expéditions, coups de main. Où en est le point de départ et le point d’appui ? Où les rebelles ont-ils leur arsenal, leur base d’opérations, leur place de refuge? Où

  1. Comme M. Poinvett, ministre des États-Unis à Mexico. Voy. D. Carlos de Sedano : Cuba, Estudios politicos, p. 1 et 8.