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Cuba, île à esclaves, aux États à esclaves du Sud de la Confédération, créant de l’une aux autres une espèce de solidarité, les constituant en une espèce de syndicat pour résister et aux idées d’affranchissement qui venaient des États du nord et aux mêmes idées qui, d’Espagne, commençaient à se frayer un courant à travers l’Atlantique. Mais, ce lien même ayant été rompu ou tranché, sur le sol américain d’abord, et, ensuite, sur le sol cubain, tous les liens pourtant n’en sont pas rompus ou tranchés du coup ; et une contiguïté historique et politique résulte, comme il est naturel, de la contiguïté géographique.

Il fut un temps où les États-Unis et l’Espagne se touchaient sur une frontière bien plus longue. En ce temps-là, l’Espagne était encore une grande puissance américaine, la plus grande de toutes, et les États-Unis naissaient comme puissance américaine de premier ordre. Dès qu’ils se rencontrèrent face à face, il fallut marquer les positions : et c’est à quoi voulut pourvoir le traité signé à l’Escurial le 27 octobre 1795.[1].

Si ce traité était, ainsi que beaucoup d’autres, un instrument caduc, on n’en parlerait pas ici; mais, des vingt-trois articles dont il se compose, il en est au moins un, l’article 7, qui, après un siècle, a gardé toute sa force et toute sa vigueur. Les Espagnols d’aujourd’hui ne le citent point sans indignation : « De ceci, disent-ils, il n’y a pas d’exemple, que l’on sache, dans l’histoire diplomatique; une pareille clause n’a pu sortir que de l’imagination étrange, prodigieuse, monstrueuse, portentoso, de l’homme d’Etat, del estadista Godoy... C’est le fameux article qui vaut à l’Espagne tant d’humiliations[2] ! »

Plus simplement, M. Canovas del Castillo l’a déclaré à la Chambre des députés[3] : le traité de 1795, et en particulier son article 7, domine les rapports de l’Espagne avec les États-Unis à Cuba. Il les domine parce qu’il stipule pour les Espagnols aux États-Unis comme pour les Américains dans les colonies espagnoles, — mais ceux-ci sont dans le cas d’en user infiniment plus que ceux-là, et le traité tourne tout à l’avantage des États-Unis, —

  1. Traité d’amitié, limites et navigation entre Sa Majesté Catholique et les États-Unis d’Amérique, signé à San Lorenzo-el-Real (à l’Escurial) le 27 octobre 1795, par don Manuel de Godoy, pour l’Espagne, et M. Thomas Pickney, pour les États-Unis.
  2. Don Juan-Bautista Casas, la Guerra separatista de Cuba, appendices, p. 481
  3. Discours prononcé au Congrès des députés le mardi 7 juillet 1896, en réponse à M. Francisco Silvela.