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été reconnues inexactes, il écrit à Dupuy une lettre que celui-ci pourra communiquer à l’abbé de Saint-Ambroise[1] et dans laquelle il déplore ce malentendu, disant « qu’après s’être gouverné selon les ordres reçus et ayant fort avancé quelques-unes des pièces les plus grandes et les plus importantes, comme le Triomphe du Roi du fond de la galerie,... il sera contraint d’estropier, gaster et changer tout ce qu’il a fait... Il s’est donc plaint à l’abbé lui-même, le priant, pour ne pas couper la tête au Roy assis sur son chariot triomphal, de lui faire grâce d’un demy pied... J’ai dit à la ronde, ajoute-t-il non sans quelque irritation, que tant de traverses au commencement de cet ouvrage me semblaient de mauvais augure pour espérer un bon succès, me trouvant abattu de courage et dégoûté par ces nouveautés et changemens, à mon grand préjudice et de l’ouvrage même, lequel diminuera grandement et de splendeur et lustre pour ces retranchemens; toutefois si on les eût ordonnés de la sorte, du commencement, on pouvait faire de la nécessité vertu. »

Une plus grosse déception était réservée à Rubens pour ce malencontreux travail, qui déjà lui avait causé tant de tracas, et lui-même en rend compte en ces termes à la fin d’une lettre qu’il écrit d’Anvers à Peiresc le 27 mars 1631 : « Les nouvelles que nous recevons de la cour de France sont certainement de la plus haute importance, et plaise à Dieu que la catastrophe ne soit pas la plus malheureuse du monde[2]. J’ai grande obligation à cette difficulté qui s’était élevée avec l’abbé de Saint-Ambroise relativement aux mesures des tableaux, puisqu’elle m’a tenu en suspens depuis plus de quatre mois sans «mettre la main à l’œuvre, et il me semble que c’est mon bon génie qui m’a ainsi empêché de pousser plus avant mon travail. Je considère comme perdue toute la peine que j’ai prise, car il est à craindre qu’une personne si éminente ne reste absolument à l’écart et l’exemple de la précédente escapade[3] provoquera à l’avenir une telle vigilance qu’il n’y a pas à espérer qu’elle puisse se renouveler. En somme, toutes les cours sont sujettes à de grands changemens, mais surtout

  1. Aussi, contre son habitude, Rubens qui d’ordinaire emploie l’italien, a-t-il écrit cette lettre en français.
  2. Il s’agit de l’exil et de l’internement de la reine mère à Compiègne, auxquels le Cardinal de Richelieu venait de décider Louis XIII, à la suite de la Journée des Dupes.
  3. C’est probablement à la fuite du château de Blois que Rubens fait ici allusion.