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j’ai montrée au service de la Reine, il pourra bien se faire, je vous le dis en confidence, que je ne remette pas ici les pieds, bien qu’à vrai dire je n’aie pas jusqu’ici à me plaindre de Sa Majesté, à cause des empêchemens très réels qui excusent ces retards. Mais en attendant, le temps se passe et à mon grand dommage, je suis toujours hors de chez moi. »

On le voit, malgré l’intérêt qu’aurait eu Rubens à approcher le cardinal, dont l’autorité était dès lors prépondérante, non seulement il n’avait pu le joindre, mais à travers ses paroles, on sent qu’il ne croyait pas pouvoir compter beaucoup sur sa bienveillance. La suite montra que ses prévisions étaient fondées, et il n’y a pas lieu de s’en étonner quand on pense que Richelieu, disposant d’une police très bien dressée, était au courant de ses menées. Il semble même que, par un concours de circonstances tout à fait imprévu, Rubens, dans les derniers temps de son séjour à Paris, eût pris à tâche de justifier la surveillance et les préventions dont il était l’objet. Si, à son avis du moins, l’Espagne devait vis-à-vis de la France s’en tenir à une politique expectante, il ne jugeait pas qu’il en fût de même à l’égard de l’Angleterre, qu’elle avait tout intérêt à ménager. Telles étaient aussi les dispositions de l’infante Isabelle, et l’occasion se présentait à ce moment de voir s’il n’y aurait pas lieu de renouer des relations plus amicales entre les deux pays. Le duc de Buckingham, en effet, venait d’être chargé par Charles Ier d’aller chercher à Paris sa nouvelle épouse pour la lui conduire et, — ce qui semblerait indiquer qu’il était d’avance disposé à un accord avec la cour d’Espagne, — dès son arrivée à Paris, le 25 mai, il s’était abouché avec Rubens. Suivant le témoignage formel de De Piles, c’est même dans l’intention de s’entretenir avec lui de cette affaire, sans exciter aucun soupçon, que, dans le peu de jours qu’ils avaient l’un et l’autre à passer en France, Buckingham demandait à l’artiste de faire son portrait. Après avoir pris de lui le vivant croquis que possède l’Albertine, Rubens non seulement l’avait peint en buste, presque de face, mais sur sa prière, il avait peint également de lui un grand portrait équestre, accompagné de plusieurs figures allégoriques : la Renommée planant dans les airs et dans le fond, sur la mer, Neptune et Amphitrite avec des vaisseaux[1]. De ces deux images, la première est timide, la seconde raide et sans vie. Si désireux

  1. Ce portrait appartient aujourd’hui au comte de Jersey.