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abbé indomptable et cet évêque inflexible, à quelle tragédie va-t-on assister ?

On entre dans la lecture du roman, après ce prologue, et la première impression est toute de surprise. C’est en effet comme si ce prologue n’avait pas existé, et comme si l’abbé Wieser était simplement un brave homme de curé de campagne, doux et timide, envoyé, sur sa demande, dans un village du creux de la montagne. Pas une fois durant les cinq cents pages il ne fait mine de vouloir réaliser une seule « réforme » dans l’Église. Il dit sa messe, il prêche, il enseigne le catéchisme, il confesse et donne les sacremens, tout comme eût fait n’importe lequel de ses compagnons de séminaire. Nulle trace du révolté qui rêvait le mariage des prêtres, ni du hardi journaliste, ni de l’auteur de contes populaires. L’évêque, non plus, ne reparaît point : l’abbé Wieser se borne à lire en chaire ses mandemens, pendant le carême, et à regretter que le style en soit trop fleuri. Ce n’est pas un apôtre que nous retrouvons, installé dans le vieux presbytère de Sainte-Marie-en-Torwald, mais seulement un témoin, un fidèle et minutieux chroniqueur travaillant à noter, Jour par jour, les divers épisodes de la vie du village.

Tel il nous apparaît surtout dans la première moitié du roman, qui forme, par elle-même, un roman entier. Six ans durant, de 1875 à 1881, son Journal nous renseigne sur les naissances et les morts, et les accidens, et les crimes, et sur l’état des récoltes, et sur les fêtes, sur tout ce qui se produit de nouveau dans ce petit village des Alpes styriennes. Nous apprenons à en connaître un à un tous les habitans, le forgeron Eschgartner qui fait fonction de bourgmestre, son fils le petit Rolf, amoureux des livres et de la vie en plein air, la servante Regina, le sacristain Charles Gross, l’aubergiste, le maître d’école, et des paysans pauvres, et d’autres plus riches, et jusqu’à deux vauriens, Holz-Hoisel et Peter-Heissel, dont l’un a déjà commis un meurtre, et dont l’autre ne va point tarder à en commettre un. Tous ces personnages nous sont présentés tantôt de face et tantôt de profil, reparaissant, puis cédant la place à d’autres, sur la trame du récit de l’excellent curé. Point d’action centrale, mais une dizaine d’actions qui se poursuivent avec des intervalles ; et, dans l’ensemble, une longue chronique, nous initiant à tous les événemens petits ou gros, ordinaires ou exceptionnels, tragiques ou familiers, de cette humble paroisse de Sainte-Marie-en-Torwald.