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et de voir ensuite ce que nous a permis, ce que nous permet de faire un traité dont le plan général fut si défectueux.


III

La cause de notre entrée en campagne contre le Maroc avait été, comme on sait, la révolte d’Abd-el-Kader. L’émir rebelle, poursuivi depuis dix ans par nos troupes, s’était réfugié dans le Rif. Il y avait trouvé un terrain tout préparé pour sa prédication forcenée contre les chrétiens. Ardent, infatigable, exerçant sur les populations fascinées par son génie un immense prestige, il préparait là un grand mouvement. Ses défaites ne l’avaient pas diminué. Tant que nous aurions à notre porte, sur notre flanc, un pareil voisin, le sort de notre colonie nouvelle restait compromis, car Abd-el-Kader représentait à nos yeux la nation arabe tout entière ; on pouvait même avancer que sa présence au milieu de notre conquête eût tout remis en question. Celui qui le jugeait ainsi était un homme dont les vertus militaires et les talens d’administrateur ne sauraient laisser taxer d’exagération une telle opinion, c’était le maréchal Bugeaud.

Le sultan marocain, pressé par nous, entouré d’intrigues ourdies par des créatures dévouées à l’émir, ne pouvait rien, n’osait rien. À la légation britannique de Tanger on voyait, avec les pires inquiétudes, cette situation devenir de jour en jour plus tendue. On craignait qu’une guerre, qu’on sentait inévitable, ne nous portât vers l’ouest. Le sort de cette lutte n’était pas douteux. Où pouvait nous conduire une victoire ? Cet inconnu effrayait, à Londres ; le gouvernement anglais, redoutant de notre part un acte d’énergie, redoublait d’insistance auprès de Moulai-Abd-er-Rhaman pour qu’il nous donnât satisfaction. Nous-mêmes, nous désirions éviter les hostilités. Mais le sultan louvoyait, cherchait à gagner du temps, et le rebelle en profitait. Il faisait dire qu’il était soutenu en sous-main par la cour de Fez, et effectivement il avait là un parti puissant, que redoutait le souverain du Maroc, et auquel ce dernier devait par instans donner des gages. D’autre part, il était de toute évidence que ses sympathies ne le portaient pas de notre côté. Son inaction encourageait les fanatiques. L’agitation gagnait nos tribus où les intrigues d’Abd-el-Kader se multipliaient. Il allait jusqu’à faire menacer l’empereur du Maroc, par des sous-entendus sur la position prédominante