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son pouvoir : par les temples, par les murs, par les cloches, par les costumes, par les armes, et surtout par les fêtes publiques où l’on fera du luxe, — mais du luxe pour tous et par tous, — et par les divertissemens nationaux.

Une de ces fêtes sera celle des fiançailles. Elle aura lieu deux fois l’an, dans chaque village, au commencement de mai et après la moisson, au moment où le ciel promet et au temps où il a donné. Les autorités y proclameront devant le peuple rassemblé les permissions de mariage, car ne se mariera pas qui veut, mais seulement ceux qui auront atteint une vigoureuse formation physique et morale et cette permission leur sera donnée « comme une attestation nationale que la première partie de leur vie a été bien remplie. » Les jeunes filles y recevront le titre de rosières et les jeunes gens celui de bacheliers et l’on organisera quelque procession joyeuse avec de la musique et des chants. Rien ne se fera impromptu ni au hasard. Quand un jeune homme aimera une jeune fille, il le lui dira, tout uniment, mais sans avoir l’insolence de s’imaginer qu’elle va l’agréer du coup. Mais elle n’aura point non plus la cruauté de le repousser aussitôt. Si elle a peu de goût pour lui, elle le renverra de sa vue sept ans, pendant lesquels il accomplira le vœu de se nourrir de cresson et de se vêtir de toile à sac ou de quelque autre façon peu confortable. Si elle l’aime un peu, elle le gardera près d’elle, se contentant de lui imposer des besognes malaisées, telles que lui rapporter des peaux de lion ou des têtes de géant, — simplement pour voir de quelle étoffe son âme est faite. Faire sa cour sera faire ses preuves et ne devra jamais durer moins de trois ans. D’ailleurs, tout cela ne sera ni caché, ni discret et une jeune fille de quelque mérite ne saurait avoir moins d’une demi-douzaine de prétendans ou de chevaliers, soumis à ses volontés.

Quand elle aura choisi son compagnon de route, elle attendra la fête nationale des mariages, car ils se feront tous le même jour, comme à Venise au Xe siècle. En sorte que ce jour sera pour tous une fête, — fête actuelle pour les uns, fête commémorative pour les autres. On y déploiera beaucoup de faste et personne ne s’indignera si chaque mariée est vestita, per antico uso, di bianco, e cou chiome sparse giù per le spalle, conteste con filo d’oro. Les autres jours, les villageois joueront des scènes de Le Nain ou de Millet, mais, ce jour-là, ils joueront des scènes de Lancret ou de Watteau. Une parfaite égalité régnera sur tous,