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moyens que leur donne la loi pour réduire le nombre de ces officines de ruine et de poison? Qu’on le propose, et l’on verra ces mêmes socialistes, qui rendent la société responsable du mal fait par le cabaret, maintenir la cause du mal au nom de la liberté ! Il faut donc que la société ait le devoir de secourir l’ivrogne sortant de l’assommoir, mais qu’elle n’ait pas le droit de l’arrêter au moment où il y veut rentrer... Comment peut-elle donc être responsable si elle n’est point libre et comment faut-il qu’elle assume tant de devoirs vis-à-vis des misérables pour les guérir, si elle n’a, pour les préserver, aucun droit?

Elle en a, assure Ruskin. Elle a surtout de ces droits-là, car il n’est guère de bons remèdes que les préventifs. « Le droit de l’intervention publique dans la conduite des criminels commence quand ils commencent à se corrompre et non pas seulement quand ils ont déjà donné des preuves d’une corruption sans espoir... Ç’a été la mode de la philanthropie moderne de demeurer inerte jusqu’à cette période-là et de laisser périr les malades et s’égarer les fous, tandis qu’elle se dépensait en efforts inimaginables pour ressusciter des morts et réformer de la poussière... L’orientation récente d’une grande partie de l’opinion publique contre la peine de mort est, j’espère, le signe qu’on commence à comprendre que le châtiment est le dernier et le pire instrument qu’a le législateur entre les mains pour prévenir le crime. Les vrais moyens de coercition sont le travail et la récompense, — non le châtiment. Aidez les bonnes volontés; honorez les vertueux; forcez les paresseux à travailler, et il n’y aura plus besoin de jeter personne dans la grande et suprême indolence de la mort... »

D’abord, l’État doit assujettir l’enfant à un travail intellectuel et manuel, obligatoire et gratuit : — « Allez sur les chemins et le long des haies et forcez-les d’entrer. » — Mais en même temps il doit empêcher que ce travail soit excessif. Pour que les hommes soient capables de se subvenir à eux-mêmes quand ils ont grandi, il faut que leur force soit proprement développée tandis qu’ils sont jeunes, et l’État doit toujours regarder à cela et ne pas permettre à leur santé d’être brisée par un labeur trop précoce, ni leurs facultés perdues par le manque d’instruction. » Plus tard, il ne permettra pas que la santé de l’homme soit déprimée par le manque de labeur musculaire, — ni son esprit faussé par trop d’instruction. On parle toujours de droit au travail, mais on ne parle jamais du devoir de travailler. Pourtant si l’ouvrier a le droit d’exiger que