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la production du capital pour le capital, sans égard au but atteint par cette accumulation, n’est nullement la même chose, ni pour un homme ni pour un peuple, que l’accumulation de choses utiles, nécessaires, bienfaisantes. « Le meilleur et le plus simple symbole du capital est une bonne charrue. Or si cette charrue ne faisait rien qu’engendrer d’autres charrues à la façon des polypes, — aurum ex ipso nascitur, — elle aurait perdu sa fonction de capital. Et la vraie question à chaque capitaliste et à chaque nation n’est pas : Combien avez-vous de charrues? mais : Où sont vos sillons? et non : Avec quelle rapidité ce capital se reproduit-il? mais : Qu’est-ce qu’il fera durant sa reproduction? Quelle substance fournira-t-il, bonne pour la vie? Quelle œuvre construira-t-il, protectrice de la vie? » S’il sert à faire de l’alcool falsifié, à bâtir des quartiers suburbains moins sains que les chaumières, à créer une industrie de pur luxe qui ronge les poumons ou obscurcit les yeux des ouvriers, ou une littérature délétère, un art mièvre et pessimiste, qui alanguissent l’âme des intellectuels, — il est fatal. « La production ne consiste pas en des choses laborieusement faites, mais en des choses qui peuvent être consommées d’une façon utile, et la question pour une nation n’est pas combien de travail elle emploie, mais combien de vie elle produit.

« Il n’y a pas d’autre richesse que la Vie, — la vie comprenant toute sa puissance d’amour, de joie et d’admiration. Les hommes se trompent si, dans un état d’enfance, ils supposent que des choses indifférentes, telles que des excroissances de coquilles ou des morceaux de pierre bleue ou rouge ont de la valeur, et s’ils dépensent, pour les découvrir, des sommes considérables d’un travail qui devrait être employé à l’extension ou à l’embellissement de la vie; ou si, dans le même état infantile, ils s’imaginent que des choses précieuses et bienfaisantes, telles que l’air, la lumière et la propreté sont sans valeur; ou si, finalement, ils se figurent que les conditions de leur propre existence, nécessaires pour posséder ou employer chaque chose, telles que la paix, la confiance et l’amour, doivent être échangées pour de l’or, du fer et des excroissances de coquilles. En fait, on devrait enseigner que les vrais filons ou veines de la richesse sont rouges et non d’or, et non dans les rochers, mais dans la chair, et que la dépense et la consommation finale de toute richesse est dans la production du plus grand nombre possible de créatures humaines au souffle puissant, à la vue aiguë, au cœur joyeux; que,