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peut-être pas accru beaucoup la poésie du monde, mais que ce n’était point leur but, et, qu’à coup sûr, ils ont accru sa fortune. Ils diraient enfin que prêcher la croisade contre le capitalisme, parce qu’il permet de faire beaucoup d’usines, de mines et de chemins de fer, c’est en somme lui rendre hommage au point de vue économique, et que prêcher sa destruction, cela revient à prêcher la destruction de tout ce qui fait la richesse des prolétaires, comme des capitalistes, des nations comme des individus.

Et, en effet, étant donnée leur conception de la richesse, les économistes ont raison. Seulement ils n’ont jamais eu même la pensée qu’on pût discuter cette conception. Pas un instant ils n’ont supposé qu’à une époque où l’on remet tout en doute, on doutât aussi que la richesse fût chose si nécessaire ou que l’argent accumulé fût une richesse et que rien d’autre ne le fût. Il est très exact que pour gagner beaucoup d’argent, rien ne vaut le système économique actuel. Les fortunes mondiales qui s’édifient aujourd’hui le prouvent surabondamment. Il est même tout à fait possible, — quoi qu’en disent les socialistes, — que ce système soit, malgré ses défauts, celui qui procure le plus de gain d’argent à la masse, et que ce soit justement dans les pays où les sommets de la fortune sont les plus élevés, grâce à la spéculation, que la moyenne des fortunes modestes s’élève aussi le plus. Mais quand tout cela serait plus évident encore, il resterait à considérer si de gagner beaucoup d’argent, c’est un gain véritable, en tout état de cause, — quand même on y perdrait sa vie, — et si toute richesse vraie tient dans la possession de l’or ou peut être procurée par lui... A voir le monde des affaires et la fièvre de spéculation qui le presse, avoir le commerçant dans son bureau, l’industriel cheminant dans les sentiers de ses usines, on le dirait. Soucis, fatigues, voyages, luttes, cauchemars du jour et de la nuit, rien ne lui coûte pour toucher à son but, — qui est l’argent... Ce qu’il fera de cet argent, il n’y pense pas, ou il n’y pense que subsidiairement : sa passion est d’en avoir, non qu’il soit un homme vénal, mais simplement s’il est un homme d’affaires tel que l’idéal économique de nos pères l’a fait. Gagner de l’argent, le plus d’argent possible lui paraît, en soi-même et comme fin dernière, une chose admirable et nécessaire, — comme au cricket, gagner des runs. Il ne peut lire : il n’a pas le temps, car il faut qu’il ramasse encore cet argent-ci ; il ne peut aller voir la résurrection des fleurs, au printemps, dans un paysage aimé : il faut qu’il