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efface toutes ces tristesses. Et vraiment c’est une belle chose, quand d’un bout à l’autre d’une nation circule un sentiment unanime, quel qu’il soit d’ailleurs et quoi qu’il vaille, car s’il est unanime que ne vaut-il pas ? On le voit dans leurs yeux : ils espèrent en ce ressuscité. Déjà, parlant à l’âme du tsar libérateur, il l’a persuadé de faire sujets ceux qui n’étaient qu’esclaves, mais ses miracles ne sont pas achevés ; il ne revit que pour aider les petits à vivre ; par sa mort répétée, peu à peu il vainc leur mort.

La voiture roule vers le monastère de la Grande-Duchesse, où le général va porter ses félicitations de Pâques ; assis à côté de lui, il me semble que je comprends pour la première fois son œuvre militaire et que je sais avec certitude ce que l’avenir pensera de lui. Nous retrouvons dans la cour du couvent les mêmes offrandes, les mêmes lumières et le même peuple de Dieu ; le courant de la joie universelle gagne les cloches par la corde du sonneur, emplit d’une rumeur vivante le clocher aux arches surbaissées, aux colonnes pansues, essaime dans le ciel les notes ailées du carillon. Étrange tableau de cette architecture d’Asie encadrant cette scène d’autrefois… L’œil surpris se cherche, mais l’âme se retrouve, car vous êtes partout les mêmes, vous, cloches de Pâques, et partout vous dites la même chose, vous qui, portant d’avance à Faust l’image de Marguerite, suspendiez la coupe dans sa main et le suicide dans son cœur ! L’homme vous entend cinquante fois, soixante fois peut-être, puis il se recouche au lit de la terre, et vous, éternelles, réveillez pour d’autres votre rythme qui est joie, votre timbre qui est amour. Sonnez donc pour l’an nouveau, sonnez pour l’avenir prochain, dites ce qui devrait être, ce qui sera quand nous ne serons plus, dites la beauté, dites la justice, surtout dites la bonté !…

À peine se sont-elles tues une heure que le jour paraissant éteint partout les lampes et termine les réveillons ; bientôt, un roulement ininterrompu ébranle devant la maison le pavé de bois ; un parc de voitures se forme au bout de l’allée ; les visites du matin commencent.

Des tables homériques sont dressées depuis hier soir dans les deux salles à manger ; un mouton entier posé sur un plat, d’épais quartiers de veau, produits de l’élevage moscovite, des cochons de lait noyés dans des sauces au raifort composent les pièces de résistance. Des paschi s’ajoutent à cet ordre de bataille. Sur des