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lassé, se renoue toujours et vole circulairement dans un ciel mystique… Oui, qu’elles poursuivent ainsi et ne fassent pas silence, ces voix plus belles que des voix d’ange, car ce sont des voix d’homme et des voix d’enfant ; elles s’élèvent au nom de l’humanité même ; elles apportent la vraie réponse, le vrai remède, cette joie de l’art, aux plaintes du travail et de la pauvreté.

Tous ceux-là cependant, autour de moi, n’ont entendu que la menace, mais cette espérance, ils n’ont pu l’entendre ; une paysanne est tombée à terre tout d’une pièce comme un sac de blé ; on voit des coussinets de neige collés aux semelles de ses bottes ; un aveugle prosterné et qui répandait sa chevelure sur les dalles montre, en se relevant, ses orbites vitreux et sanglans. Et tout d’un coup, parmi ces hommes prompts aux attitudes viles et qui n’ont pas d’yeux pour regarder au ciel, on se souvient qu’on est étranger.

— Sortez du temple, les appelés

La liturgie des croyans commence, et je sors en effet, emportant ma religion.

Le vestibule est toujours plein de ces corps étendus ; ils n’ont pas bougé, ils n’ont pas vécu, et ce serait moins triste s’ils étaient morts. Mais au dehors, comme la nature reparaît bienfaisante et sereine ! comme le Dniepr encore emmêlé de glace semble plus large, plus libre, meilleur ! Le premier bateau, suivant son chenal étroit, va vers la slobode des juifs tapie là-bas au bout du pont ; la plaine vaste dépouille par endroits sa couche de neige et montre la noirceur féconde de la terre ; des tons roses irisent les lointains bleus ; partout le ciel d’hiver se déchire et le printemps passe au travers.

Mille ans se sont écoulés depuis qu’ici même Vladimir renversa les idoles et baptisa son peuple. L’annaliste Nestor expose les hésitations du prince inclinant à changer de religion ; d’une part, l’exemple de sa grand’mère Olga, première princesse chrétienne, les leçons d’un philosophe grec parlant de vie future et de peines éternelles l’attiraient vers le dogme de Byzance ; de l’autre ses conseillers lui représentaient les difficultés d’une conversion en masse. « Sire, n’allez pas trop vite ! Sans doute, les idoles sont des divinités peu rationnelles, mais enfin elles supportent l’ordre social, la morale y est attachée, le peuple les aime, et, somme toute, ce sont d’assez bons dieux… « Des légats envoyés dans les différens royaumes rapportèrent sur les choses de la foi : « Les Allemands se