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Une longue litanie marque le commencement de la liturgie dite des appelés. Puis, chaque chant qui succède a son sens religieux et sa provenance historique ; c’est Justinien qui mit en usage le psaume « le Fils unique », pour combattre dans la croyance l’hérésie nestorienne. De-ci de-là, un mot qui passe dans la récitation mélodique fait se signer quelque fidèle comme pour dire à Dieu : Voilà justement ce que je pensais. Le chœur à huit voix est d’invention grecque : Pur et puissant ensemble, harmonique et mouvant accord appuyé sur des basses extraordinairement vibrantes et profondes ; la lente majesté du plain-chant, l’écart des diapasons, la similitude des timbres, concourent à la même impression de religion et de beauté. Tel est ici le ravissement de l’oreille qu’on ne prend pas le temps de regretter les orgues apportées autrefois de Byzance et rejetées ensuite comme profanes.

Une porte latérale s’ouvre dans l’iconostase ; un diacre qui tient à deux mains l’évangile paraît, précédant le prêtre. Arrivé à la porte principale, il élève le livre en prononçant une invocation, puis rentre au chœur. C’est le petit introït, qu’on oppose au grand introït du prêtre apportant les espèces sacrées ; il rappelle l’apparition de Jésus après sa retraite au désert. Car tout l’office est ici, comme dans le rite romain, un symbole de la vie du Christ et de sa mort, mais un symbole plus parlant et plus détaillé auquel l’iconostase, à la fois barrière et décor, prête tantôt le mystère et tantôt la solennité.

Puis c’est le chant Sviatïî boje, pareil au Sanctus catholique, puis un verset ; et la basse profonde du diacre commence la lecture de l’évangile. À mesure qu’elle épuise le texte sacré, elle s’enfle davantage ; le chant s’achève en cri, cri perçant, puissant et pressant. Toutes les nuques se plient comme violemment courbées sous un vent de douleur, toutes les poitrines se marquent au signe de la croix, au signe du supplice et de la mort ; par-dessus les statures inclinées, on voit alors dans sa gloire farouche l’iconostase, la digue qui ferme à jamais le port divin et contre laquelle cette vague humaine vient expirer en gémissant. Mais déjà ces voix aériennes recommencent au sommet du temple si douces à ce moment, si mystérieuses, si lointaines qu’on dirait des voix d’anges attendries à cet appel de la terre et répondant du fond d’un paradis. Elles planent là-haut à grands coups d’aile ; comme des oiseaux jouent au matin et, d’un mouvement pareil, tracent leurs méandres sans fin, ce chant nombreux et pur, jamais