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sur la mécanique céleste, jusqu’à la très célèbre Sophie Kovalevski, cette Russe qui fut professeur de mathématiques à Stockholm, et dont notre Académie des sciences couronna en 1888 le mémoire sur le problème de la rotation d’un corps solide autour d’un point fixe, en lui décernant le prix Bordin élevé pour la circonstance de 3 000 à 5 000 francs.

« Elle avait, dit M. Weyer, une puissante imagination dont elle se servait pour faire ses découvertes. » Elle s’en servait aussi pour rêver à la quatrième dimension, c’était peut-être dans sa science la part du roman. Elle s’en servait plus souvent encore pour se tourmenter, pour se convaincre que les découvertes scientifiques ne procurent que des Joies médiocres, que le vrai bonheur est d’être jeune et d’être aimée, « que le diable a du bon, que sans lui il n’y a de véritable harmonie ni dans le monde ni dans les âmes. » Quand elle réussissait à se distraire de ses recherches sur la théorie des fonctions elliptiques ou sur les courbes définies par les équations différentielles, elle ruminait mélancoliquement cet autre problème : « Pourquoi personne ne m’aime-t-il ? » M. Weyer ne raconte point cette histoire pour dégoûter les femmes du calcul infinitésimal ; il est du petit nombre des professeurs allemands qui veulent du bien à celles que le diable tourmente. Il convient du reste que les Sophie Kovalevski sont rares, mais il affirme que beaucoup déjeunes filles ont le goût et le don des raisonnemens abstrus. Il a donné autrefois des leçons d’astronomie nautique à un capitaine de bâtiment marchand, qui désirait que sa fille y assistât, alléguant qu’elle avait la compréhension si prompte, si aisée, qu’elle lui expliquait ce qu’il n’avait pas compris.

Les ennemis de « la femme académique » n’ont garde de contester ses aptitudes, et quelques-uns l’autorisent bénévolement à prendre ses grades. Mais après ? disent-ils. Lui ouvrirons-nous toutes les carrières auxquelles ces grades donnent accès ? Hélas ! ces carrières sont déjà si encombrées ! Combien de gradués, de docteurs, végètent misérablement et mourront sans avoir obtenu l’emploi lucratif qu’ils convoitent ! L’une des plaies de ce temps est « le prolétariat bourgeois. » Si les femmes s’en mêlent, il s’accroîtra indéfiniment ; nous maigrissons à vue d’œil, et elles nous ôteront le morceau de la bouche. Aussi bien sont-elles propres aux affaires et à toutes les professions ? Souffrons qu’elles exercent la médecine ; les femmes-médecins peuvent rendre quelques services. Mais les femmes-avocats ! Assurément elles ont l’esprit subtil et le génie de la chicane ; mais elles sont très passionnées, et la passion gâte tout. Quoique Mlle Chauvin ait brillé dans la soutenance de sa thèse, le conseil de l’ordre lui a sagement interdit de