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plus vite qu’elle ne le croit. » — Ainsi parlent les résignés, et ils n’ouvrent pas la porte à deux battans, ils l’entr’ouvrent. La femme n’en demande pas davantage ; peu lui importe d’être reçue sans empressement, il lui suffit qu’on la reçoive : une fois dedans, elle se promet d’arranger la maison à son gré et de s’en faire elle-même les honneurs.

Ce qui lui fera plaisir, c’est que, comme ses amis, ses ennemis déclarés admettent presque tous en principe l’égalité intellectuelle des deux sexes, et s’ils veulent lui interdire l’accès des universités, ce n’est pas qu’ils la jugent incapable d’y gagner ses éperons. Quelques-uns cependant font des réserves, et ceux qui en font le plus sont les professeurs d’histoire. Ils prétendent que parmi tous les genres d’étude, c’est aux recherches historiques qu’elle a le moins de dispositions naturelles. M. Jacob Caro lui reproche d’unir l’esprit de détail et de minutie à l’amour des chimères, de méconnaître ce qu’il y a de permanent et de fatal dans les choses humaines, de s’imaginer trop facilement qu’on peut guérir les maladies sociales par des moyens artificiels : « Livrer l’histoire aux femmes, s’écrie-t-il en se frappant la poitrine, c’est déclarer la révolution en permanence. » M. Busolt, professeur à Kiel, est moins tragique. Il se contente de remarquer que ce qui fait l’historien, c’est la sévérité dans les méthodes, l’exactitude dans les enquêtes, le discernement des causes cachées, la sûreté du jugement, les idées générales, les vues d’ensemble, autant de dons qui ont été refusés aux femmes. Il va peut-être un peu loin. Je me souviens d’avoir demandé un jour à Louis Blanc quel était le livre dont il s’était le plus inspiré en préparant son histoire de la Révolution française. — « Il n’y en a qu’un, me répondit-il, ce sont les Considérations de Mme de Staël ; celui-là dispense de lire les autres. » Il est vrai que le génie n’a pas de sexe.

Chose curieuse, entre tous les professeurs consultés ce sont les mathématiciens qui ont rendu le plus bel hommage à l’intelligence féminine. Ne dites pas que les femmes ont une répugnance instinctive aux abstractions ; M. Félix Klein vous apprendra qu’elles ont une remarquable aptitude à la plus abstraite des sciences, aux mathématiques transcendantes, que six dames, deux Américaines, une Anglaise et trois Russes ont suivi ses cours dans le dernier semestre, et qu’elles ont fait honneur à leur maître. M. Weyer cite vingt et une femmes, qui se sont illustrées dans les mathématiques, depuis Ptolémaïs de Cyrène et la fameuse Hypatie jusqu’à Mme Lepaute, jusqu’à Sophie Germain, qui correspondit longtemps avec Gauss sans qu’il pût se douter qu’il avait affaire à une jeune fille, jusqu’à Mary Somerville et à ses études