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inclinations ; mais ce n’est pas une question qui se puisse régler au hasard du tempérament personnel des individus. J’ignore si la race nègre, toute pétrie de vilains défauts qu’elle soit pour l’instant, est irrémédiablement inférieure, ou s’il ne lui manque qu’une occasion et quelques milliers d’années devant elle pour devenir une des réserves de l’humanité, quand nos races blanches auront achevé de s’user par l’excès de civilisation. Admettons qu’elle ne s’élève jamais, dans les conditions les plus favorables, au-dessus d’une médiocrité peu intéressante. Il n’en reste pas moins que mettre 100 millions d’âmes hors la loi, les exclure du droit des gens en vertu d’un postulat scientifique, cela est troublant pour les consciences imbues de la morale qu’on nous enseigne de père en fils depuis dix-neuf siècles. Et, s’il se trouvait, par hasard, que les droits de notre race à supprimer les populations qui la gênent ne soient pas aussi limpides que le pense le major Boshart ; s’il était admis, à la réflexion, que les atrocités sont des atrocités sous toutes les latitudes, et qu’il y a une justice, une morale, un devoir, même vis-à-vis d’un « sale nègre », bien que les règles de cette justice, de cette morale, de ce devoir puissent différer de celles qui président aux relations des blancs entre eux, être plus sommaires et moins délicates : n’y aurait-il pas lieu d’appeler de tous ses vœux la formation d’une opinion publique européenne qui rende impossible le retour des horreurs révélées par des procès récens ? L’opinion, et une opinion internationale, peut seule sauvegarder la notion d’humanité dans des contrées où nous voyons que le contact et l’exemple des barbares a vite fait de ramener un civilisé à la définition classique de Hobbes : homo homini lupus. C’est le seul remède possible à la « honte » si justement déplorée par M. Franz Giesebrecht.

Si cette opinion européenne arrive un jour à se former, si elle prend assez de force pour s’imposer, Olive Schreiner y aura contribué. Et alors. Peter Halket, ce livre courageux, sera pour elle une gloire plus enviable que ne l’eût été une œuvre littéraire plus parfaite.


ARVEDE BARINE.