Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/658

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allemande, mais d’esprit plus large, adresse au chancelier des reproches analogues. Il le blâme d’avoir plus d’une fois défait ce qu’il venait de faire, d’avoir proclamé les réformes sans les réaliser et d’avoir donné à quelques-unes de ses créations le caractère d’essais provisoires ou de vaines apparences.

Et, parmi les contemporains déjà, même parmi ceux qui n’avaient point contre l’œuvre de Hardenberg d’hostilité fondamentale, même parmi ceux chez qui les tendances réformatrices du chancelier n’éveillaient point l’opposition de l’esprit conservateur ou féodal, on en rencontre plus d’un, qui, dès lors, se dérobe et se refuse. Des hommes comme Schleiermacher et Gneisenau[1], heurtés par l’aspect extérieur des choses, par ce que le caractère de Hardenberg avait d’équivoque, par son apparence de diplomate d’ancien régime, par son entourage, opposaient dès lors Stein à Hardenberg, et accordaient au premier, malgré lui, l’adhésion qu’ils refusaient au second. Même à une heure où Stein apportait, du fond de son exil, un concours décidé au chancelier, il semble que tout ait contribué à faire des deux hommes d’Etat les représentans de deux principes contradictoires.

Qu’y a-t-il au fond de cette opposition? Il semble que, pour le mieux reconnaître, il soit préférable de rechercher non point les tendances idéales de l’un et l’autre esprit, tendances complexes toujours et difficiles souvent à préciser, à réduire en formule; mais les réalités pratiques auxquelles l’un et l’autre ont abouti.

L’œuvre agraire de Stein s’était limitée en fait à l’émancipation des paysans des domaines royaux.

Il avait créé, de ce côté, sur ces domaines où le souverain agissait comme propriétaire et non comme chef d’État, il avait créé 30 000 propriétaires libres. C’était un fait social considérable. La légende, qui a fait depuis de Stein le libérateur du paysan prussien, l’a beaucoup exagéré. En dehors des domaines royaux, Stein n’avait rien osé ; et cette timidité restreint singulièrement la portée de ses édits. L’école historique allemande commence à le reconnaître, à revenir des exagérations anciennes. Elle est bien près d’effacer le bas-relief de la statue de Berlin, où l’on voit la foule des serfs affranchis apporter aux pieds de Stein l’hommage de la démocratie rurale à son libérateur[2].

Ces impressions, d’ailleurs, ne sont pas nouvelles. On les retrouve,

  1. Pertz, Stein’s Leben, II, pp. 571 et suiv.
  2. Gœtte, Das Zeitalter der Deutschen Erhehung, 1807-1815, p. 40.