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se maintenait encore, comme en un dernier réduit, le pouvoir politique de l’aristocratie foncière.

Toute l’histoire du développement social avait abouti, en Prusse, à grouper les individus en petites sociétés morcelées qui affectaient trois formes diverses. C’était d’abord le groupement municipal des villes, puis, lorsqu’on sortait des grandes agglomérations, c’était, sur une portion assez étendue du territoire, le canton des domaines royaux, et, sur tout le surplus de la superficie, sur la plus large part du territoire, le domaine seigneurial. C’étaient là les cellules élémentaires de la société politique. Mais ces petites sociétés élémentaires n’étaient point, comme le sont aujourd’hui les communes françaises, reliées, cimentées, pénétrées par l’action centralisatrice de l’Etat. L’Etat monarchique de la Prusse, tout fortement constitué qu’il fût, s’était superposé à ces organismes élémentaires; mais il demeurait presque sans contact avec eux.

Le domaine seigneurial, surtout, avait conservé, sous la direction de son chef local, la plus large part de son autonomie. Non seulement la surveillance de l’école, de l’église, mais jusqu’à la justice, jusqu’à la police, jusqu’au maintien même de l’ordre social, dans ce qu’il a d’essentiel, reposaient entre les mains du propriétaire du domaine, du chef local de cette petite communauté quasi féodale. L’Etat n’avait point d’autre organe de son autorité, d’autre instrument de son action, que cet agent indépendant et effectivement irresponsable, qui s’appelait le propriétaire du domaine, et qui, de sa terre, de son bien noble, régissait, le plus souvent par des agens dépendans de lui, le ou les villages voisins[1].

Le préambule, l’exposé des motifs, de l’édit de gendarmerie précisait avec autant de netteté que nous pouvons le faire aujourd’hui l’état social et politique de la Prusse, et le mal auquel il voulait porter remède.

Il montrait la Prusse morcelée en collectivités isolées les unes des autres : les communes urbaines, les districts des domaines royaux, et ce qu’il appelait les sociétés seigneuriales, c’est-à-dire les circonscriptions des biens nobles qui tenaient la place des communes rurales.

Il dépeignait ces sociétés dépourvues de toute représentation

  1. Preussische Jahrbücher, XXXVII. Gneist, Die Denkschriften des Freiherrn vom Stein, p. 264.