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Aussitôt après la promulgation de l’édit, des commissions furent constituées pour en assurer l’exécution. Elles se formèrent dans les diverses provinces, et les rapports qu’elles adressaient au chancelier semblent constater unanimement le mouvement d’opinion que l’édit avait produit au sein de la population rurale. L’espoir prochain, le sentiment de la propriété engendrait partout, disait-on, l’ardeur au travail. Les paysans se rendaient en foule chez ces petits agens d’affaires qui étaient leurs conseillers habituels, les Winkeladvocaten, et venaient leur demander la solution des mille questions litigieuses que soulevait l’application de l’édit. La population rurale semblait partagée entre les espérances que suscitaient chez elle les perspectives nouvelles qui lui étaient ouvertes, et les craintes qui paralysaient ces mouvemens, lorsque se répandait dans la campagne le bruit que l’aristocratie allait obtenir la rupture des promesses contenues dans l’édit de septembre. La part faite à l’optimisme administratif, il paraît impossible de méconnaître l’effet moral, l’agitation même, que l’édit produisit parmi les populations rurales de la Prusse.

La noblesse cependant ne considérait pas l’édit comme définitif. Si les députés avaient paru l’accepter comme un compromis provisoire, la caste des propriétaires fonciers ne se tenait pas pour engagée. Elle continuait à assaillir le roi et le chancelier de protestations de droit et de réclamations de fait.

Les protestations de droit étaient des plus vives. Les seigneurs se considéraient comme propriétaires des tenures ; qu’on leur en prît la moitié ou les deux tiers, c’était une spoliation pure et simple, la mainmise violente sur un droit privé, l’importation des idées françaises.

Dans les réclamations de fait, on vit poindre, dès le début, la tactique habile par laquelle la noblesse allait réussir à restreindre considérablement la portée de l’édit.

Dans un mémoire présenté, avant même la promulgation de l’édit, en mars 1811, par Goldbeck, qui était, comme tant d’autres, à la fois fonctionnaire et représentant des intérêts de la caste, perce la pensée de limiter l’application de l’édit à un petit nombre de gros tenanciers. La noblesse déclarait que, si l’on pouvait admettre la concession de la propriété à une sorte d’aristocratie paysanne, il était impossible de traiter de même la grande masse des petits tenanciers, qui n’étaient en réalité que des journaliers ou des serviteurs payés avec de la terre.