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II

La Révolution de 1830 ne changea pas précisément le fond des idées de Lamennais; elle en changea le cours et la direction. Au fond, remarquez-le, relativement au pouvoir politique il avait toujours été un révolté et un révolutionnaire. S’il est vrai, comme je le crois, et comme c’est très exact au moins pour Lamennais, qu’un homme soit plus précisément caractérisé par ses haines que par ses affections, Lamennais est déjà avant 1830 un révolutionnaire ; car, pour aller au secret des choses, il aime moins l’Eglise qu’il ne déteste le gouvernement. Ce qu’est l’Eglise pour lui, ce qu’est ce grand pouvoir spirituel dont nous parlions tout à l’heure d’après lui, c’est une barrière aux empiétemens du pouvoir civil sur les âmes, sur les pensées, sur les libertés, et, à vrai dire, c’est une barrière opposée à toutes les prétentions de l’Etat, quelles qu’elles soient. C’est avant 1830 qu’il disait déjà : « Le christianisme enseigne aux hommes qu’aucun autre homme n’a sur eux, par lui-même d’empire légitime et naturel ; qu’à Dieu seul appartient la vraie souveraineté... Je consens à reconnaître César, comme dit Tertullien, pourvu qu’il n’exige rien de contraire aux droits de Celui dont il exerce l’autorité; car du reste je suis libre, je n’ai d’autre maître que le Dieu tout-puissant, éternel, qui est aussi le maître de César... Qu’est-ce que gouverner arbitrairement? C’est substituer à la loi de justice sa volonté propre, son caprice. Donc, pour se garantir de cet abus, il sera nécessaire d’opposer à la force qu’on appelle pouvoir, une autre force qui la réprime. Mais cette force sera-t-elle spirituelle ou matérielle? Si elle est matérielle, comme il faudra qu’elle soit plus puissante que le pouvoir pour l’arrêter, elle sera elle-même le pouvoir ou la force dernière et prééminente. Si au contraire elle est spirituelle, nous retombons dans le système des deux puissances subordonnées, c’est-à-dire dans le système chrétien. »

Personne ne savait mieux que lui, adversaire du gallicanisme, qu’il y a au moins deux façons d’être catholique. Pour les uns, le catholicisme est autorité, et est bon surtout pour donner aux esprits l’habitude et comme le pli du respect de l’autorité. Le respect qu’il demande pour lui, l’obéissance qu’il réclame pour lui, l’obéissance qu’il recommande, le non-examen ou l’examen très timide qu’il prescrit, sont choses qu’il aime sans doute pour