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à l’unité, et il faut convenir qu’ils réussissent assez bien dans cette démonstration. Reprendre ce travail pour aboutir à la conclusion contraire n’est pas défendu, mais devient plus difficile qu’il n’eût été de leur temps, à mesure que, par suite des recherches historiques, plus d’opinions humaines nous sont connues ; et est un labeur très vain, parce que l’autorité a de l’influence sur les décisions, non sur les croyances. Faire une chose parce qu’elle a été faite n’est pas déraisonnable ; croire une chose parce qu’elle a été crue est irrationnel, paraît à l’esprit presque puéril, lui répugne comme une abdication et un suicide, et en vérité n’est pas autre chose.

Je dirai même que l’esprit trouve dans cette proposition qu’on lui fait une sorte, ou je ne sais quelle ombre, d’hypocrisie. Vous n’osez pas me dire : « Croyez parce qu’il faut croire, croyez parce que je le veux, croyez parce que croyez », qui est le vrai et franc langage de l’autorité. Vous appuyez l’autorité d’une autorité plus faible qu’elle, plus vague, sensiblement incertaine et incohérente, qui ne vous sert, au fond, qu’à voiler ce que l’autorité toute pure a de trop cru. Au lieu de dire : « Nous avons le dépôt de Dieu », vous dites : « Nous avons le dépôt de Dieu ; la preuve c’est que nous avons le dépôt de l’humanité. » C’est affaiblir l’absolu par le relatif, sous prétexte de le prouver, voilà pour le fond; c’est chercher des moyens indirects de me séduire et masquer la majesté redoutable de la foi, sous les apparences d’une opinion humaine plus accessible et plus familière ; voilà pour le procédé ; et il y a là quelque chose qui a des apparences au moins d’habileté insidieuse.

Accordons tout ce que nous pouvons accorder. L’autorité humaine, l’autorité de la tradition, respectable dans l’ordre des faits, dans l’ordre des décisions à prendre, a, même sur les croyances, une certaine influence. Nous croyons volontiers ce qu’on croit, ce qu’on a cru. Mais cette influence est d’un caractère particulier. L’autorité, en matière de croyances, impose et ne convainc pas. Nous n’aimons pas à penser différemment des autres hommes ; mais nous ne croyons nullement être obligés à penser comme eux. Nous aimons à penser comme les autres hommes, par une certaine paresse d’esprit, par un certain respect pour nos semblables, et par une certaine peur d’être fous. Ce n’est pas malhabile sans doute, de se servir de ces ressources assez précieuses pour nous faire accepter ce que l’on croit être la vérité.