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et cette vue parfaitement fausse à force d’être incomplète, du monde pré-chrétien et du monde extra-chrétien, ont été suspectés avec raison par l’Église catholique, et abandonnés par elle. Ils sont désapprouvés également par la science moderne et par le bon sens. Il est trop évident qu’à comparer le christianisme et les paganismes, les différences l’emportent tellement sur les ressemblances, que celles-ci peuvent être considérées comme fortuites, tenues pour négligeables, et surtout prétendre établir sur elles la vérité du christianisme est une entreprise de l’imagination plus que de la raison et éminemment paradoxale.

Mais, s’il en est ainsi, que devient le système de Lamennais? Il devient qu’il n’est pas prouvé, et que, du reste, en soi déjà, il était faux. Non, le consentement universel n’est nullement critérium de vérité. L’humanité entière a cru à des erreurs non seulement ridicules, mais monstrueuses ; elle a cru à l’astrologie, à l’alchimie et à la sorcellerie ; sachons du reste reconnaître qu’elle y croit encore; elle a été tout entière polythéiste, tout entière, y compris le peuple de Dieu, et ne soyons pas trop sûrs qu’elle ne le soit plus. L’argumentation parfaitement sophistique, quoique savante, de Lamennais a ceci d’effrayant qu’on sent à chaque demi-page que rien ne serait plus facile que de la retourner exactement, et de prouver, par sa méthode et par ses exemples à l’appui, que, si le consentement universel est le critérium de la vérité, nous devons être polythéistes, démonologues, à peu près fétichistes, sans compter que nous devrions être aussi théocrates, aristocrates et monarchistes.

Pour parler non pas plus sérieusement, car ce qui précède est très exact, mais plus philosophiquement, de deux choses l’une, ce me semble : ou, en considérant le consentement universel, on procédera par synthèse, ou on procédera par élimination. Si l’on procède par synthèse, on tiendra compte de toutes les opinions qui ont été généralement admises, successivement, par l’humanité, de toutes les opinions considérables du genre humain, et l’on se fera une opinion, une croyance mêlée, complexe, incohérente et parfaitement monstrueuse, où personne ne pourra se plaire si ce n’est l’homme que sans doute Lamennais déteste le plus, à savoir une manière de dilettante avide et de sceptique vorace, qui voudrait rassembler en lui, pour les goûter toutes, les croyances les plus contradictoires de l’humanité. Si l’on procède par élimination, on écartera chaque opinion humaine qui aura