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dans sa vie? Rien ne trahit qu’il en ait jamais distingué aucune. « On ne l’a point vu, écrit le Père Martineau, sujet aux vices où la jeunesse engage ordinairement, surtout au milieu de tout ce que le monde peut avoir de plus agréable. C’était une pudeur extrême dans tout son extérieur. Toujours modeste dans ses regards, toujours réservé dans ses paroles, il gardait une conduite parfaitement conforme à la maxime que Tertullien donnait aux fidèles de son temps : il ne suffit pas d’être chaste, il faut le paraître... Un des seigneurs qui Font vu le plus souvent et le plus près a cru pouvoir m’assurer que la retenue des dames les plus vertueuses n’égalait pas celle du jeune prince[1]. » Ce n’est pas, Saint-Simon nous Fa dit, qu’il fût inaccessible de nature aux sentimens divers que les dames, vertueuses ou non, peuvent inspirer. Mais son précepteur lui avait appris qu’on ne pouvait, sans péché, aimer qu’Antiope, et c’était pour Antiope qu’il se réservait. On n’a pas oublié avec quelle joie il reçut le portrait de la jeune princesse de Savoie et le faisait admirer par Barbézieux[2]. Le bruit de cette joie dut se répandre dans le public, car plusieurs estampes le représentent contemplant le portrait de la princesse. Au bas de l’un de ces portraits est gravé ce vers de Virgile[3] :


... stupet, obtutuque hæret defixus in uno.


Sans doute il devait songer au modèle encore plus souvent qu’il ne regardait le portrait. On peut donc aisément s’imaginer quels sentimens divers d’émotion, d’anxiété, d’attente faisaient battre ce jeune cœur le jour où, sur la route de Nemours à Fontainebleau, escorté de son gouverneur, il attendait sa fiancée. On se rappelle que, voyant approcher le carrosse, il oublia l’étiquette, et qu’échappant à Beauvilliers, il courut cent pas au-devant. C’était le premier entraînement auquel il eût jamais cédé.

Voilà le jeune prince et la jeune princesse enfin réunis. Nous aurons maintenant à les suivre à Fontainebleau et à Versailles,


HAUSSONVILLE.

  1. Recueil des vertus, etc., p. 131.
  2. Voir la Revue du 1er juin 1896 et la lettre de Barbézieux à Tessé.
  3. Enéide, t. I, v. 495.