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Nous avons au reste comme un prolongement écrit de ces conversations. Les fables de Fénelon, et encore les aventures d’Aristonoüs ou celles d’Alibée le Persan ne furent probablement, à l’origine, que des histoires racontées de vive voix au duc de Bourgogne pour le divertir tout en l’instruisant. Elles ne durent être rédigées que plus tard, peut-être sur la demande de l’enfant lui-même. Quelques-unes de ces fables étaient destinées à lui faire entendre d’utiles leçons, comme celle du jeune Bacchus et du Faune : « Comment, dit Bacchus au Faune, d’un ton fier et impatient, oses-tu te moquer du fils de Jupiter? — Comment le fils de Jupiter ose-t-il faire des fautes? » D’autres avaient au contraire pour but de l’encourager, et de le piquer d’émulation en lui montrant ce qu’il pourrait devenir, comme celle intitulée : Le Nourrisson des Muses favorisé du soleil. D’autres enfin, comme le Nil et le Gange ou les Abeilles, se proposaient de lui faire envisager à l’avance, sous leur aspect le plus sérieux, ses devoirs de souverain.

C’était également le but que se proposait Fénelon dans ses Dialogues des morts, et il est impossible de ne pas admirer l’abondance d’idées, la grâce de forme, l’ingéniosité, l’érudition dont il fait preuve dans ces soixante-dix-neuf dialogues, tantôt dans les entretiens fabuleux, entre Mercure et Caron, Chiron et Achille, où l’on voit « la peinture vive des écueils d’une jeunesse bouillante dans un prince né pour commander » ; tantôt dans les controverses entre Platon et Aristote, entre Aristote et Descartes, où les principales questions métaphysiques qui divisaient les esprits du temps sont résumées avec clarté, mais surtout dans ces nombreuses conversations entre conquérans, souverains, grands ministres ou grands capitaines qui contiennent tant d’utiles leçons de politique. Dans ces conversations, Fénelon laisse déjà poindre le critique sévère qu’il était au fond, l’auteur de la lettre anonyme à Louis XIV. Il est peu probable que ce dernier se fît montrer les cahiers qui servaient à l’éducation de son petit-fils. Mais s’il avait eu cette curiosité, il aurait eu assurément le droit de se croire à plusieurs reprises directement visé, entre autres par cette réponse de Louis XII à François Ier, lorsque celui-ci énumère ses conquêtes et se félicite d’avoir mérité d’être immortalisé par les gens de lettres : « Cela est beau, et je ne veux point en diminuer la gloire, mais j’aimerois encore mieux que vous eussiez été le père du peuple que le père des lettres. » On comprend qu’avant même