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sur la nature de sa maladie, finissait par lui dire : « Avouez-moi la vérité, mon prince. Ne vous seriez-vous point livré à quelque emportement? — Vous l’avez deviné ! s’écriait le duc de Bourgogne. Est-ce donc que cela peut rendre malade[1]? » Et Fagon aussitôt de lui faire (un peu comme dans le Malade imaginaire) une énumération de toutes les maladies que pouvait engendrer la colère et qui allaient quelquefois jusqu’à la mort subite.

Il n’aurait point fallu abuser de ces manèges avec un enfant pénétrant qui aurait fini par les démêler. Fénelon avait recours à un procédé plus sûr et plus digne, lorsqu’il recommandait à tous ceux qui l’entouraient de n’opposer à ses emportemens que le silence et la tristesse, de ne plus lui adresser la parole, de ne pas même répondre à ses questions. On faisait le silence et la solitude autour de lui. Son appartement devenait un désert où personne n’entrait plus et dont on ne le laissait plus sortir. Il ne voyait plus ni le Roi, ni personne de la famille royale, et comme l’enfant était d’une nature tendre et passionnée, cette froideur et cette solitude finissaient par lui devenir tellement insupportables qu’il avouait ses torts et en demandait pardon.

Pour triompher également de la hauteur et de l’orgueil de son élève, Fénelon n’essayait pas de vaines humiliations qui l’auraient exaspéré. Il voulait qu’il ne fût humilié que devant lui-même. C’est ainsi que, dès l’âge de sept ans, il lui faisait signer un engagement ainsi conçu : « Je promets, foi de Prince, à M. l’abbé de Fénelon de faire sur-le-champ ce qu’il m’ordonnera et de lui obéir, dans le moment qu’il me commandera quelque chose : et si j’y manque, je me soumets à toutes sortes de punitions et de déshonneur. Fait à Versailles, le 29 novembre 1689. Louis. »

Foi de prince! Ce prince de sept ans dut souvent y manquer, et c’est là un procédé qui ne paraît pas non plus à l’abri de toute critique que de faire prendre à un enfant des engagemens sur l’honneur, alors qu’il peut difficilement savoir ce que le mot lui-même veut dire. Mais, comme il n’y a meilleur juge d’une éducation que le résultat, on ne saurait nier que le procédé ait réussi, car tous les contemporains sont unanimes à affirmer la violence des emportemens du duc de Bourgogne quand il était enfant, et l’empire qu’il avait fini par acquérir sur lui-même dans un âge plus avancé. Il y fallut du temps. Des querelles éclataient souvent

  1. Proyart, t. I, p. 14.