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scrutin qui nomme mon successeur. Puisse toute abdication être aussi magnifique !

Est-ce pour les concerts de Tours que l’on a pris soin de cette belle voix qui m’est encore inconnue ? Quel livre a occupé vos soirées à la campagne ? Quel journal recevez-vous tous les jours ? Je voudrais le savoir ? Vous a-t-on communiqué ceux qui dénonçaient ma présence à l’Institut ? Avez-vous lu le discours du duc de Noailles ? Vous a-t-il plu ? — Mais vous n’avez pas le temps de causer, n’est-ce pas ? — Une visite vous attend en bas, une on haut, et demain un concert ! Pauvre enfant, comme ils vont fatiguer votre poitrine ; et quelles mauvaises fadeurs vous seront dites, en échange de tant de notes, de gammes, et d’accords !


VIII


Au Maine-Giraud, jeudi 11 juillet 1850.

Je crois que le silence et l’immobilité de la verte nature se communiquent à ses habitans comme des maladies contagieuses. Etes-vous « la Belle au bois dormant ? » Si non, qui vous empêche de me faire savoir toutes sortes de choses que j’attends de vous ? D’abord et avant tout, si votre père est tout à fait rétabli des brûlures des médecins ? Ensuite si vous allez voyager et pour quelle santé vous l’allez faire ? Combien de temps durera ce voyage ? Le savez-vous ? Etes-vous bien sûre que l’air de la mer ne soit pas votre ennemi ? Braverez-vous longtemps ses violences froides du soir et du matin ? J’ai vu des personnes plus fortes que vous en souffrir beaucoup. — Ma cousine, Mme de Ludres, est, dit-on, à Onzin, l’irez-vous voir là-bas ? Que faites-vous des longues journées à la campagne ? Que lisez-vous ? Qu’aimeriez-vous à lire ? Avez-vous des ouvrages favoris qui vous attachent ? Car toutes les heures ne peuvent vraiment se passer pour vous en visites de châteaux et en promenades. Je n’ai pas foi dans les dispositions pastorales d’une bergère qui ne sait pas combien elle a de vaches ; je ne crois donc pas non plus que les soins champêtres remplissent votre vie.

Lisez, je vous prie, les Mémoires de Chateaubriand. Malgré ses sombres humeurs contre son père, et sa mère, et ses amis, malgré ses jugemens injustes et jaloux, il a de grandes pages et des tableaux sévères remplis de beautés que vous aimerez assurément, ma chère Alexandrine. Sa vanité est excessive, il est vrai : il se pose en parallèle avec l’Empereur, il gémit sans cesse sur lui-même, il