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on est six, peut-être même sept en y comprenant la Grèce, comme on a compris autrefois le Piémont, — Dieu sait pourquoi! — dans les opérations militaires et diplomatiques qui se sont terminées par la prise de Sébastopol et le Congrès de Paris. Si on était sûr qu’une simple démonstration suffirait pour atteindre le résultat désiré, c’est-à-dire pour abattre d’un seul coup les résistances qui pourraient se produire et, en même temps, ceux qui auraient la folie de les faire, nous dirions : soit ! allons-y tous, et revenons vite. Mais dans l’état actuel des esprits et des choses, tel que nous l’avons défini plusieurs fois déjà et encore aujourd’hui ; étant donné les prétentions indéfinies de la plupart des chrétiens d’Orient, et de ceux qui sont libérés du joug ottoman encore plus que de ceux qui le supportent encore; si on constate les préoccupations évidentes de toutes les puissances, dont aucune n’oublie les intérêts de sa politique personnelle, ce qui explique entre elles, quoi qu’on en dise, des différences d’attitudes assez marquées ; en présence des traits complexes, inquiétans, menaçans de ce tableau, on comprendra que notre gouvernement ait observé quelque réserve, qu’il ait réfléchi avant de s’engager, et qu’il ne se soit engagé que dans la mesure où la prudence le permettait.

L’Angleterre, dans la situation privilégiée où elle se trouve, séparée de l’Europe et pesant sur elle du dehors, peut s’abandonner plus librement à ses sentimens philanthropiques : encore a-t-elle grand soin de ne le faire que lorsque ses intérêts n’y courent aucun risque, et mieux encore lorsqu’ils y trouvent avantage. Mais tout le monde n’a pas les coudées aussi franches. Si nous regardons l’Europe continentale, qui assurément a été tout aussi émue et indignée que l’Angleterre des cruautés dont l’Orient a été ensanglanté, que voyons-nous ? L’Allemagne se retranche dans une attitude de sphinx : il est impossible de se garder davantage, et d’attendre les événemens avec une résolution plus impassible de ne rien faire pour les précipiter. La Russie, qui assurément est une nation généreuse, et qui a fait plus que toute autre, bien qu’elle en ait été mal récompensée, pour libérer les nationalités chrétiennes des Balkans, la Russie que l’expérience a instruite, se voit obligée de faire entrer dans ses calculs des préoccupations nouvelles. Elle a cessé d’être révolutionnaire pour devenir, comme nous, conservatrice en Orient. Elle promet, elle donne son concours aux autres puissances, mais elle prend soin, elle aussi, que ce concours, dont on pourrait user au profit d’une politique aventureuse, n’amène pas un ébranlement général, pour lequel elle n’est pas plus prête que nous. L’Italie même, l’Italie actuelle, gouvernée par MM. di Rudini et Visconti-Venosta,