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qui avaient si bien réussi sur ce point particulier, pour obtenir les mêmes résultats. Peut-être, en effet, obtiendrait-on les mêmes; mais on peut voir aujourd’hui à quel point ils sont fragiles, et en quelque sorte provisoires. Il y a, dans cette cruelle ironie des faits, une leçon dont il faut savoir profiter.

On répond, il est vrai, que si l’insurrection a éclaté de nouveau en Crète, c’est parce que les réformes promises n’ont pas été faites. On accuse la mauvaise volonté, la mauvaise foi du gouvernement ottoman. On se plaint des résistances qui se produisent dans les milieux musulmans, et on en rattache la cause à un fanatisme religieux contre lequel on s’élève en déclamations indignées. Certes, si les musulmans et les chrétiens n’étaient pas ce qu’ils sont; si les premiers ne voulaient pas garder à tout prix le pouvoir qu’ils détiennent, et si les seconds ne voulaient pas le leur arracher par la force; si les uns et les autres, enfin, n’employaient pas, sans le moindre scrupule, tous les moyens pour atteindre leur but, le problème serait plus facile à résoudre. Il pourrait même le devenir à un tel point que la diplomatie n’y aurait plus aucun mérite. Mais pour en revenir aux réformes crétoises, malgré toutes les oppositions qu’elles ont rencontrées, non seulement de la part des musulmans, mais encore de la part des chrétiens, il n’est pas vrai qu’on n’ait encore rien fait pour les appliquer. La vérité, au contraire, est que leur exécution faisait depuis quelque temps des progrès sensibles, et cela même, peut-être, n’a pas été étranger aux émeutes. Quand on a vu que les réformes étaient en voie de s’accomplir, et qu’un programme encore plus général allait être soumis au sultan en vue d’en étendre les bienfaits à tout l’empire, ce qu’il y avait en tout cela d’insuffisant au gré de certaines ambitions a provoqué une explosion d’impatiences. En Crète, ce n’est un secret pour personne que des intelligences très étroites et très actives, qui se traduisaient par des allées et venues continuelles, n’ont pas cessé d’exister entre les chrétiens de l’île et la Grèce. De part et d’autre, on n’avait entendu consentir qu’à une trêve; on commençait à craindre qu’elle ne durât assez longtemps pour amortir le feu des passions révolutionnaires. Voilà pourquoi le moment qui, si on n’avait regardé qu’à l’apparence extérieure des choses, aurait paru le moins propre à déterminer une reprise des hostilités, est précisément celui qui a été choisi : sous le calme de la surface, des causes d’agitation énergiques et profondes continuaient d’exercer leur action secrète, en attendant de faire éclat au grand jour.

Lorsque l’Europe a connu les nouvelles de Crète, elles lui sont