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l’on m’écrit. Et si je la vois jamais, faut-il vous le dire ? oui (pourquoi pas ? ) cela me pourra bien serrer le cœur, car il me semble, en pensant à celle pour qui ce fut écrit, que l’on jette sa robe au sort et que l’on se partage son manteau. — Du reste, je redeviens plus sérieux en parlant de ceux qui ne sont plus. Ne croyez pas que ces relations de théâtre, qui font tant de bruit que toute la France a su celle-là, tiennent autant de place qu’il le semble dans la vie d’un homme. Il y avait sept ans que je n’avais vu cette personne, qui vous préoccupe, lorsque j’ai appris qu’elle avait tout à coup quitté cette vie dont elle était en possession avec tant d’ardeur et d’éclat ; et je l’ai su, comment ? comme vous, comme tout le monde, par un journal, comme on sait tout aujourd’hui. — Repentez-vous donc, Ange sévère, de votre jugement ! Je ne suis coupable ni envers vous, amie chérie, pour avoir fait jouer ce joujou de salon, ni envers la mémoire de celle qui réalisait mes inventions sur la scène, et recevait sur son front les couronnes de fleurs qu’on leur jetait. Quand elle était en pays étranger, elle m’envoyait les couronnes, et il s’en trouva une un jour noire et blanche, comme on en jette sur les tombes. On l’avait jetée à Kitty Bell d’une loge du Théâtre de Bruxelles. — Je me tais, car savez-vous ce qui va arriver ? Vous pensiez que j’oubliais ; vous trouverez à présent que je me souviens trop. Mais n’importe, je laisse ce que j’ai écrit sur ce papier, pour vous punir de m’avoir accusé d’un froid calcul de vanité. — Moi je ne vous accuse jamais. Aujourd’hui, pauvre bonté blessée, je vous plains. Je sais que vous pleurez une amie, notre bon cousin me l’avait écrit. Jamais il ne viendra une larme de vos yeux sans qu’elle tombe sur mon cœur. — Non, non, je ne vais point à Poitiers où vous n’êtes pas, et ne voulez ni ne pouvez venir. Eh bien ! donc, restez chez vous, j’irai je ne sais comment, mais j’irai. Il faut que je vous voie. Vous êtes délicate, ménagez-vous et pensez à quelqu’un qui vous aime, pour vous donner le courage d’être prudente. — Si c’est par notre cousin que j’ai voulu savoir de vos nouvelles, et non par vous, c’est que j’ai espéré qu’il me dirait ce que vous faites de votre vie, de vos jours, de vos nuits, de vos heures, de vos pensées, de vos paroles, de vos regards. Mais il ne dit rien. Pourquoi n’écrivez-vous pas plus souvent sur votre amie, votre bonne amie dont vous préférez les entretiens à toute chose ? — Mon nom n’est-il jamais entre vous ? Ne vient-il jamais sur vos lèvres ? Ne sort-il pas un soupir de votre cœur qui le fasse entendre à cette Elise mystérieuse et si chère ?