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été bon, et qu’on pourrait, le lendemain, avoir du foie au dîner. »

Au chapitre suivant, il fait lui-même son premier essai. Dans une grande fête, donnée pour l’inauguration d’une mission évangélique, il vole la montre d’or d’un évêque. Il la rapporte chez lui, la donne à son père : et celui-ci, après l’avoir prise, le roue de coups pour le corriger. Le malheureux Dicky s’en va se consoler auprès d’un vieil âne, le seul ami qu’il ait au monde. « Les coups avaient été mauvais, très mauvais. Mais c’était surtout l’injustice des choses qui le désespérait. Sans l’aide de personne, il avait fait, avec netteté et sûreté, un acte dont il n’y avait personne dans le Iago qui n’eût été fier. Radieux, il avait couru recevoir les éloges de ses parens, en échange du gain qu’il leur rapportait, si librement et si généreusement, avec tout au plus l’espoir d’un souper chaud pour sa récompense. Et c’était là toute sa récompense ! Pourquoi ? Il n’y comprenait rien : il ne pouvait que ressentir l’injustice, et en souffrir dans son cœur. »

Aussi, le lendemain, n’est-ce plus à son père qu’il rapporta sa prise, mais à un honorable négociant d’une des grandes rues voisines, M. Aaron Weech, qui lui offrit en échange une tasse de café, et même un gâteau. Mais le gâteau ne lui était offert qu’à crédit ; Dick, comme un homme, se trouvait avoir une dette. « C’était la vie sérieuse qui s’ouvrait pour lui. En vérité sa vie avait déjà été assez sérieuse avant cela ; mais il l’ignorait. Il n’en était pas moins arrivé à l’âge où les garçons volent pour leur propre compte. C’était vrai, comme le lui avait dit M. Weech, que chacun, dans ce monde, avait à travailler pour soi. Il s’agissait pour lui d’être assuré de prendre sa part, s’il ne voulait pas la voir aller à d’autres. Par folle ingénuité il avait perdu la montre du vieux gentleman, et son père l’avait eue, lui qui pouvait si bien voler pour son propre compte. Chacun pour soi. Oui, et désormais il ouvrirait l’œil. »

Quelques jours plus tard, voyant sur le palier une chambre ouverte, il y entra, et prit une pendule sur la cheminée. Un petit garçon bossu, le fils des pauvres gens à qui appartenait la pendule, le rencontra dans l’escalier au moment où il s’enfuyait. Il essaya de l’arrêter; mais Dicky se dégagea, et le jeta sur le pavé. « Et il s’en alla, très soucieux. Il avait des inquiétudes au sujet de la pendule, à présent. Non qu’il pût raisonnablement se reprocher rien. La pendule s’était trouvée là à sa disposition, et en la prenant il n’avait fait que suivre la morale du Iago. Mais il avait aperçu sur le seuil, en sortant de la maison, le pâle visage de la mère du petit bossu : et maintenant il se sentait pour elle une sorte de pitié, en pensant qu’elle avait cessé d’avoir sa pendule.