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grief qui a été plus d’une fois porté à la tribune du parlement, c’est qu’un grand nombre de maisons du marché libre ont pour chefs des étrangers. Le fait était, jusqu’à ces derniers temps, incontestable ; c’était un des traits par où la Coulisse différait du parquet, car,-pour être agent de change, la loi exige qu’on soit Français. Non seulement bon nombre de coulissiers n’étaient pas Français, mais beaucoup étaient juifs et juifs allemands, double motif d’attaque contre la Coulisse. Au parquet, au contraire, comme il n’y a que des Français, il n’y a guère que des chrétiens, la compagnie des agens de change ayant, jusqu’à présent, réussi à écarter presque tous les israélites, de peur, sans doute, de les voir prendre, chez elle, un trop grand pied.

La carrière de courtier officiel à la Bourse reste ainsi comme fermée aux juifs français ; à peine y a-t-il deux charges d’agens de change qui aient passé en des mains israélites. Le public, qui regarde volontiers les juifs comme les grands prêtres du temple de l’argent, se représente la Bourse comme une profane synagogue où les fils d’Israël officient au premier rang. C’est une erreur, les descendans d’Aaron ou les membres de la tribu de Levi ne peuvent guère, à la Bourse, pénétrer jusqu’au saint des saints, jusqu’à la corbeille des agens de change. S’ils veulent faire le métier de courtiers en valeurs mobilières, il leur faut se rejeter sur la Coulisse. Et, comme en France, de même qu’en Angleterre, en Allemagne, en Autriche, cette profession est de celles pour lesquelles nombre de juifs se sentent, par atavisme, par une sorte d’instinct hérité de leurs ancêtres du moyen âge, une vocation innée, on ne saurait s’étonner de voir beaucoup des fils de Jacob, Aschkenazim ou Sephardim, parmi les coulissiers. A vrai dire, il serait singulier que, pour être admis à crier sous la colonnade le taux des valeurs et les variations des cours, il fallût un certificat de baptême. J’imagine l’étonnement des premiers chrétiens, si on leur avait annoncé que pour vendre des partes aux chevaliers romains, sous le portique des basiliques du forum, il fallait croire au Christ; c’est un métier qu’ils eussent volontiers abandonné aux juifs ou aux païens. On chercherait du reste, en vain, une différence entre les transactions inscrites sur le carnet d’un juif et celles portées au carnet d’un chrétien; en dépit de leurs doigts crochus légendaires, on ne voit pas que les mains juives retiennent, à la Bourse, plus de l’argent qui leur passe entre les doigts.