Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
IV

Au Maine-Giraud, mardi 8 août 1848.

En recevant votre lettre du 4.

Oui, oui, c’est l’hiver, mon amie, je le veux aussi. Cet orage, c’est le premier frissonnement de l’hiver qui va me ramener à Tours. — Que le dernier mot de votre lettre soit le cri de toute votre vie, et puissé-je vivre assez pour l’entendre sortir souvent de votre jolie bouche et en être la cause ! — Oui, j’accepte et signe tous vos traités, Alexandrine. Je rachèterai ces dessins d’un enfant par des vers sur un album, comme par exemple ceux d’une certaine traduction de Roméo et Juliette, par moi, que Mlle Mars savait par cœur et disait admirablement. Je ne sais où ils sont, il est vrai ; je les crois à Paris dans quelqu’un de mes portefeuilles ; mais si on me les envoie et s’ils ne sont pas brûlés avec Babylone, je les écrirai. Ils commencent au moment où Roméo, qui allait emporter de son triste caveau sa belle Juliette vers la vie heureuse, se souvient qu’il est empoisonné et dit :

Faut-il quitter cet ange à la porte du ciel ?

Aimerez-vous la scène que vous rappelleront ces vers ? Ou bien encore ceux-ci :

Il est sur ma montagne une épaisse bruyère
Où les pas du chasseur aiment à se plonger
Viens y cacher ta vie et ta divine faute !

Mais non, vous n’aimez pas ceux-là. Je suis sur cette montagne justement aujourd’hui.

Ou peut-être, pour l’amie de votre chère Élise, ceux que j’écrivis lors de la mort d’un poète :

Jeune homme au cœur d’acier, adieu pour cette vie,
Je regarde ta mort et je te porte envie,
Car tu meurs à cet âge où le cœur jeune encor
De ses illusions conserve le trésor ;
Comme, aux yeux du marin, le soleil des tropiques
Se plonge tout ardent sous les flots pacifiques
Et, sans pâlir, descend dans son nouveau séjour
Aussi fort qu’il était dans le milieu du jour.

Ou d’autres encore, si vous ne voulez de tout cela. Il y en aura que je ne dirai qu’à vous, qu’à vous. — Et puis vous