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être persona grata près du parquet ou de la haute banque. Encore un préjugé dont nous nous sommes défaits. Être bien vu de la Bourse et des hommes d’affaires serait plutôt, pour un ministre des finances, un titre d’exclusion. Si la Bourse a peu d’influence sur la politique, la politique n’en a guère plus sur la Bourse. Entre les deux, on pourrait dire qu’il y a une sorte de séparation, sans que cela puisse jamais aller jusqu’au divorce. Le marché n’est plus aussi sensible aux changemens de gouvernement ou aux délibérations des Chambres. Il se désintéresse de tout ce qui ne touche pas directement les affaires. Lui, aussi, est devenu sceptique et, chose triste, on ne saurait dire que cette indifférence mutuelle de la politique et de la Bourse soit toujours à l’avantage du pays.

A travers tous ses défauts, la Bourse a, en effet, une qualité qui n’est pas commune, la franchise. Elle est terre à terre; elle ne connaît en toutes choses que le vulgaire souci des intérêts matériels, et ces intérêts mêmes, les seuls qui la passionnent, elle en a fréquemment une intelligence médiocre. Elle est souvent myope; elle ne perçoit ou ne veut apercevoir que l’avenir immédiat ; son horizon se borne, trop souvent, à la liquidation mensuelle. Mais, avec cela, elle est d’habitude indépendante et véridique; elle n’obéit à personne et ne flatte personne, elle ignore l’art de feindre. La cote est incorruptible: il n’est pas plus mauvais courtisan. C’est pour cela que la Bourse a toujours été mal vue des despotes, princes ou peuples. Ni la séduction, ni la force n’ont de prise sur la cote, et l’intrigue ne peut longtemps la fausser. La Bourse n’est ni sainte ni héroïque, et, hormis les héros et les saints, c’est la seule puissance que ni rois ni foule ne puissent assujettir ou contraindre à parler contre son sentiment: nulle censure n’a prise sur elle, et son opinion, elle l’exprime en francs et en centimes, langage compris de tous. Aussi Napoléon la détestait et Robespierre l’avait en exécration, sans que la vertu y fût pour rien; les jacobins, pour la faire taire, n’avaient trouvé qu’un moyen, la supprimer. Proudhon lui-même le confessait : la Bourse a été, chez nous, à certaines heures, le dernier refuge de l’opinion, suppléant à la fois, par ses variations quotidiennes, au silence de la tribune et à la servilité de la presse. De ce que la Bourse est indépendante, ignorant l’art de flatter les maîtres du jour, il ne suit pas qu’on puisse, sur tous les événemens, se fier à son verdict. Beaucoup de choses, dans le gouvernement des hommes, échappent à